Une jeune femme transgenre se voit bafouée par la famille bourgeoise de son amant défunt. Un film poignant du réalisateur de Gloria.
Orlando, un quinquagénaire chilien sémillant, vit une histoire d’amour avec une jeune femme prénommée Marina, serveuse de restaurant le jour, chanteuse de salsa la nuit. Un soir, pris d’un malaise, il meurt. Orlando avait une famille officielle. Marina va alors subir l’habituelle humiliation promise aux maîtresses (comme celle de se voir refuser d’assister aux obsèques), affronter la suspicion des riches qui croient que les pauvres sont forcément vénaux (rendre la voiture, le chien, quitter au plus vite l’appartement du défunt).
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A cela s’ajoute un autre scandale : Marina est transgenre. Lelio dénonce alors sans appel le sort qui lui est réservé, à elle que la “sainte famille” (titre du premier film du cinéaste argentin) considère comme une créature contre-nature, une “chimère”, dira la veuve officielle sans la moindre vergogne, le moindre égard dû à tout être humain, rejetant ainsi sur Marina le dégoût que lui inspirait le “vice” du père de ses enfants.
Au-delà d’une simple condamnation de la morale bourgeoise
Sebastián Lelio n’y va pas toujours avec le dos de la cuillère. Sa galerie de portraits d’une bonne famille bourgeoise, du frère qui se veut ouvert mais maladroit, à l’ex-femme bafouée pleine de morgue, en passant par le fils hystérique prêt à casser du pédé, est sans doute véridique mais un peu chargée.
Or, au-delà d’une simple condamnation de la morale bourgeoise traditionnelle, le film (coproduit par Pablo Larraín et Maren Ade) prend un autre virage, bien plus troublant. D’abord grâce à Marina et son interprète, Daniela Vega, elle-même transgenre. Vega, son visage, son corps, résistent à tous les clichés.
Résister à la laideur en lui en opposant la beauté de l’art
Et cette dignité d’un corps, d’une démarche, ses silences, son calme, sont ce qui, avec une bande-son sublime et mystérieuse, font d’Une femme fantastique un film fascinant, qui laisse le spectateur parfois hypnotisé : intimé, comme Marina, de résister à la laideur en lui en opposant la beauté de l’art (ici le chant, baroque ou de variété, et une image lumineuse et très colorée, pop).
Ensuite, la tension que maintient Lelio tient à des choix de mise en scène très secs. En réalité, ce que ne tolère pas la société, dit le film, c’est de ne pas savoir si Marina est une femme ou un homme. Cette indécidabilité leur est insupportable. Le vrai scandale est là, et le récit montre à quelle vulgarité il pousse les individus.
Dans l’une des scènes symboliquement les plus violentes du film, une policière force Marina à se déshabiller entièrement devant elle. Le regard de la policière plonge vers le bas. Lelio ne montre pas le contre-champ. Cela ne nous regarde pas. C’est le regard de l’inspectrice qui compte, son obscénité absolue.
Marina ne revendique que sa liberté
Marina, elle, est la pudeur même, elle ne revendique que sa liberté. Mais tous ceux qu’elle rencontre (en dehors des artistes – comme ce merveilleux professeur de chant lyrique) ne prennent pas de gants pour lui parler de ses organes les plus intimes, comme s’ils étaient publics.
Personne ne songe jamais à se préoccuper de son chagrin, pas même sa sœur vaguement hippie. La monstruosité que tous ces personnages lui renvoient sans fard, sans classe, c’est la leur. Et aboutit à un film poignant et parfois hallucinant sur la difficulté à faire son deuil du corps : celui de l’être aimé, celui que l’on avait à la naissance.
Une femme fantastique de Sebastián Lelio (Chili, All., Esp., E.-U., 2017, 1 h 44)
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