Le portrait à charge d’un vaste pays où l’horreur s’est infiltrée dans les moindres facettes de la vie quotidienne. Une fresque terrorisante.
L’action se déroule de nos jours. Une femme vit seule dans une modeste datcha. Un jour, un avis de la poste lui demande de venir rechercher un colis qu’elle a envoyé comme d’habitude à son mari, incarcéré dans une prison lointaine. Inquiète, elle décide de prendre quelques jours de congés et de se rendre à la prison pour livrer elle-même le colis. Sur le chemin, elle ne va rencontrer que misère, malveillance, absurdité administrative, proxénétisme, misère économique et morale : l’arbitraire d’une société gangrenée par la corruption, la folie, la cruauté.
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Une liste intemporelle et obligée de clichés
Dès les premiers plans, le spectateur est saisi par le style du nouveau film de l’Ukrainien Loznitsa, un style qu’il connaît bien pourtant : ce style si russe, si formaliste, si cadré, qui a été la marque du cinéma soviétique et est devenu celui des écoles de cinéma qui ont perduré après la chute du communisme dans ces régions-là. Comme si Loznitsa, dans un geste de provocation formelle, ou au contraire pour témoigner de sa fidélité à ce type de cinéma, pour être compris de tous ses compatriotes ou voisins, adoptait ce style reconnaissable entre tous pour décrire son, leur pays.
Disons-le : Une femme douce n’est pas un film léger. Bien au contraire, et il assume son poids sans vergogne. Il s’agit de taper fort. Tout de l’âme russe, jusqu’à la caricature, défile dans le film, dans une sorte de liste intemporelle et obligée de tous ses clichés : la vodka, les chants traditionnels et militaires, le fatalisme, les excès de sentiments en tout genre. Comme s’il s’agissait une fois encore de bien inscrire son film dans un univers codé, déchiffrable par tous, sans doute aimé.
L’héroïne est l’incarnation d’une Russie qui n’existe plus
L’héroïne, femme douce, obstinée, presque muette, résiste à tout avec un courage sans faille : les fouilles au corps des flics, les rejets de l’administration, les menaces des soldats, les avances des maquereaux. Tous sont corrompus, tous sont complices. Dans cette déchéance sans fin d’une femme sans vice, il y a bien quelque chose de sadien : il faut la salir jusqu’au bout. Non pas par machisme ou par misogynie, mais parce que cette femme de toute évidence est l’incarnation d’une Russie qui n’existe plus. Sa fin sera terrible.
Seul ombre à cette descente aux enfers hallucinatoire pour le spectateur : une scène de rêve empotée et trop longue, qui nous explique tout ce que nous avions compris nous-mêmes. Mais le film de Loznitsa est impressionnant, même ou surtout quand il en appelle avec une naïveté déchirante à la bienveillance.
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Une femme douce de Sergei Loznitsa, avec Vasilina Makovtseva, Valeriu Andriuta, Sergeï Kolesov
En compétition officielle
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