Des activistes de l’ETA et des policiers en civil filmés tout le temps de loin au téléobjectif. Passionnant.
Peu de spectateurs l’ont remarqué en dehors de l’Espagne, mais Jaime Rosales est un cinéaste passionnant. Son cinéma se distingue par un curieux mix d’expérimentation conceptuelle et d’observation de la banalité. Après avoir filmé laconiquement un meurtrier sans explication ou jugement moral (magnifique Les Heures du jour), puis le quotidien de femmes madrilènes en usant de la technique du split-screen (superbe La Soledad, qui sort en DVD), Rosales tente un nouveau défi avec Un tir dans la tête : filmer des personnages de loin, au téléobjectif, les suivre ainsi pendant quelques jours. Le point de vue étant lointain, on n’entend bien sûr aucun dialogue. Sans trop dévoiler le film, on peut quand même indiquer que les personnages ainsi observés sont des activistes de l’ETA et des policiers en civil. Rosales a voulu ici se réessayer au cinéma muet, quatre-vingts ans après l’apparition du parlant. Un film est-il aujourd’hui possible avec le seul recours aux images, aux plans, au montage ? Mais Rosales n’est pas retourné pour autant au muet de l’âge primitif, tel Kaurismäki dans Juha. D’une part parce que son film est sonore et comporte tous les bruits ambiants. D’autre part, par le positionnement distant de la caméra : le dispositif renvoie ainsi à des situations très contemporaines de vidéosurveillance de rue, de guet policier, ou plus simplement de voyeurisme individuel. Ce que Fritz Lang avait génialement anticipé (une société gouvernée par un regard omniscient et ubique…), l’ère moderne l’a accompli, et Un tir dans la tête en prend acte. Le film renvoie aussi à notre condition voyeuriste ; le spectateur de cinéma n’est-il pas fondamentalement quelqu’un qui regarde sans être vu ? La dernière partie du film est très forte.Quand les activistes et les policiers finissent par se croiser par hasard, il se noue une tension assez intense et qui se passe de dialogues, comme un moment de cinéma chimiquement pur, créant le suspense par le simple agencement des angles de vues, des regards et du montage. Un tir dans la tête n’est pas un spectacle haletant d’un bout à l’autre, mais plutôt une proposition de cinéma risquée et inventive. On apprécie le mélange d’audace et de modestie animant l’auteur, qui tente des paris esthétiques au mépris de toute prudence gestionnaire.
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