“Mais la partie n’est pas gagnée, il faut encore remercier. ” Jean-Luc Godard envoie, en guise de remerciements à l’attribution, vendredi 13 mars à Genève, du Prix d’honneur du cinéma suisse, un petit film de moins de cinq minutes sous-titré “Mort ou vif” et visible sur Internet.
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Dans ce court film Godard se met en scène rentrant chez lui, s’y effondre d’épuisement au sol, et haletant se relève, nous parlant de la voix d’outre-tombe qu’il prend à se jouer (de) lui-même. “Vieux metteur en scène qui fait un jeune film”, selon ses propres mots dans un récent entretien, Godard continue d’être sa propre relève. La vieillesse de son corps qui tangue, il la charge d’allégorie, cinéma parlant en bout de course, sursaut d’ironie en sursis.“Il n’y a pas de cinéma suisse, oh, il y a des films suisses, il y a des films bulgares aussi […] mais le cinéma c’est autre chose.”
Du cinéma, nom réel d’un idéal de l’art, Histoire, ici il n’y en a pas, et ailleurs il n’y en a plus. Il est passé à l’indéfini : des films, comme “la vidéo” un temps explorée par JLG devient ici une vidéo, dans le genre filmique de notre temps. Une vidéo parmi d’autres, nos millions d’autoportraits sur leurs mille plateformes.
“Les peuples entiers sans protection de l’imaginaire”
En sept plans, Godard compte sur ses doigts jusqu’à quatre : les quatre éléments de la science grecque, les quatre forces de la physique moderne, les quatre murs “sans toit, sans toi et moi” de l’Occident reclus sur ses ruines, les quatre cinématographies du monde ancien : russe, allemande, française, américaine. D’un temps centenaire où le cinéma existait à “assurer la foi des nations en elles-mêmes”, et, disparu, laisse “les peuples entiers sans protection de l’imaginaire”.
Si le soldat fatigué accepte les “écus dorés” de la Suisse, c’est en récusant l’autorité du Conseil fédéral (organe de l’exécutif helvète), pour invoquer une lignée de quatre figures mythiques de l’histoire de la Confédération, dont Michel Servet, médecin hérétique envoyé au bûcher par Calvin. C’est un autre hérétique qui vient – réconciliation in extremis avec un frère disparu – donner le dernier mot. Un poème de Pasolini, qui à l’innocente résignation des peuples, répondait : Mais moi, le cœur conscient / de qui n’a pas de vie en dehors de l’histoire, / pourrai-je jamais faire œuvre de passion pure / puisque je sais que notre histoire est terminée ?
Un Godard hospitalier qui, s’il sait ne pouvoir sauver personne, nous invite encore une fois à sa table, partager un moment son repos du guerrier.
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