L’Italie a choisi « Terraferma » pour représenter ses couleurs aux prochains Oscars : un film politique sur le parcours d’une réfugiée africaine dans le pays de Berlusconi. La consécration d’une nouvelle tendance du cinéma italien, hantée par la question de l’immigration.
En choisissant cette semaine le dernier film d’Emanuele Crialese, Terraferma, pour représenter l’Italie à la cérémonie des Oscars de 2012, l’Association nationale de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel italien (ANICA), en lutte perpétuelle pour son maintien, a envoyé un signe fort au gouvernement Berlusconi –presque un camouflet. Alors que les tensions s’accélèrent sur l’île de Lampedusa, où des heurts violents ont opposé la police anti-émeutes aux immigrés tunisiens le 21 septembre, l’association nationale du cinéma plébiscitait un film politique, ouvertement d’opposition : l’histoire d’une cohabitation entre une famille de pêcheurs italiens et une réfugiée africaine, débarquée d’un boat people.
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Le geste de l’ANICA est important, et traduit bien le divorce entre l’industrie cinématographique du pays et les pouvoirs publics. Un conflit résumé par Emanuele Crialese au dernier festival de Venise, où Terraferma a été récompensé d’un prix spécial du jury : « La réponse de l’Etat au drame de l’immigration est inappropriée, affirmait-il. Laisser les gens mourir au large des côtes est le signe d’une grave crise de civilisation. » Mais la nomination de Terraferma dans la course aux Oscars consacre surtout une nouvelle tendance du cinéma italien qui a fait de l’immigration l’un de ses principaux thèmes – des films d’auteur (à qualité très variable) aux divertissements populaires les plus mainstream.
Afrique et Camorra
Avec Terraferma, un autre film italien s’installait au palmarès du dernier festival de Venise (lauréat du Lion du futur), Là-Bas de Guido Lombardi. Pour son premier long métrage de fiction, le jeune cinéaste napolitain de 35 ans, ancien assistant d’Abel Ferrara, s’est lui aussi consacré aux questions liées aux flux migratoires en Italie :
« J’ai écrit le scénario après avoir découvert la communauté africaine de la petite ville Castel Volturno, explique Guido Lombardi aux Inrocks. Je ne savais pas qu’à seulement 20 km de Naples, il puisse y avoir ce petit morceau d’Afrique, avec ses rituels, sa vie séparée des blancs, et ses problèmes liés à la criminalité organisée, la Camorra. »
Mais le scénario original de Là-Bas, écrit par Guido Lombardi en 2006, va prendre une autre tournure deux ans plus tard, lorsqu’un conflit éclate entre les immigrés clandestins de Castel Volturno et la mafia pour le contrôle du territoire. « Je n’aurais jamais imaginé ce qu’il s’est passé en 2008, quand la Camorra a tué six africains qui se sont révélés innocents, complètement étrangers au trafic de drogue, explique le réalisateur. Ils ont été tués simplement parce qu’ils étaient noirs, africains. Et je me suis dit que ce crime raciste était en quelque sorte une image paroxystique de l’attitude de l’occident envers les immigrés. »
Là-Bas est donc devenu le récit d’une guerre ouverte entre les clandestins africains de Castel Volturno (incarnés en grande majorité par des acteurs amateurs, eux-mêmes issus de l’immigration), et sa vieille mafia traditionnelle. « Un film témoin » explique Guido Lombardi, qui regrette le « désintérêt des italiens pour ces communautés d’immigrés, réduits à l’esclavage dans des exploitations agricoles dont personne ne veut entendre parler ». Mais une fois le scénario retouché, il a encore fallu convaincre les producteurs (toujours plus réticents à s’engager) d’investir dans le film :
« C’était très difficile de vendre le projet Là-Bas, confirme le réalisateur. Quand je présentais un film sur des immigrés africains, parlé en français et en anglais, donc avec des sous-titres italiens, les producteurs me regardaient comme un fou. C’est pour ça que j’insistais sur la nécessité de penser à une exploitation du film en Europe, et non plus seulement en Italie, où la curiosité intellectuelle est presque morte. »
http://youtu.be/-6dRVKNg6o8
Une comédie contre la Ligue du Nord
Pour Guido Lombardi le cinéma italien a commencé à se préoccuper des questions liées à l’immigration dans les années 2006-2009 : « Beaucoup de réalisateurs voulaient tourner des films sur ce sujet, mais l’industrie et le gouvernement avaient des idées différentes, comme toujours. » La situation semble s’être débloquée ces derniers mois, où le nombre de films sur l’immigration a soudainement explosé : Storie di schiavitù, de Barbara Cupisti, Il Villaggio di cartone, d’Ermanno Olmi (avec Michael Lonsdale), ou sur un mode métaphorique, L’Ultimo Terrestre du dessinateur Gian Alfonso Pacinotti.
Et le cinéma populaire a suivi avec Mozzarella Stories d’Edoardo De Angelis : une comédie sortie cette semaine dans les salles italiennes qui joue sur le choc des cultures façon Bienvenue chez les ch’tis. Mais surtout avec Cose dell’altro mondo de Francesco Patierno, le remake d’un film mexicain (A Day Without a Mexican) où une petite ville raciste de l’Italie devient folle après le départ de toute sa population immigrée. Distribué début septembre, le film a provoqué une polémique sans précédent en Italie, où il a suscité la fronde de la Ligue du Nord (qui a banni la société de production de tournage à Trévise), et a été discuté au parlement –pas encore totalement acquis à ce nouveau cinéma italien.
Romain Blondeau
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