Le retour de Grandrieux . Fiction dépouillée en plein air. Action-filming. Partis pris de lumière audacieux. Noir éblouissant.
Philippe Grandrieux est, avec F.J. Ossang (cf. ses courts métrages Silencio et Ciel éteint !), un des grands filmeurs du cinéma français. Evidemment, il ne faut pas lui demander en plus un scénario. Ses trois longs métrages, Sombre, La Vie nouvelle et Un lac, reposent sur des archétypes, des stéréotypes, voire des clichés. Ils sont souvent liés au conte de fées. L’ogre serial-killer de Sombre, la famille d’Un lac pourraient venir du Petit Poucet. Sûr, il y a les références plus actuelles, les putes de l’Est, la mafia russe et les pitbulls de La Vie nouvelle. On a moins accroché… Le filmage était là, mais le dispositif trop lourd, trop mode (costumes de Chanel).
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Avec Un lac, le cinéaste fait table rase de ces clichés et de ce décorum. Il filme en mini-DV (mais l’image est sublime !), cinq acteurs, dans un coin perdu de Suisse près d’un lac, entre forêt et montagne. Une histoire intemporelle de bûcherons, qui commence par l’abattage d’un arbre, intense, assourdissant, à la hache. Sans doute n’utilise-t-on plus la hache pour couper des arbres depuis deux cents ans, mais on s’en fiche. Ce qui compte, c’est le geste, le son. L’enjeu du film est la reconstitution d’un espace primitif, primordial, essentiel, bigger than life à sa manière.
Il y a une famille, le fils, Alexi, bûcheron épileptique, sa sœur qu’il aime plus que tout, son petit frère, sa mère aveugle, son père, absent, qui apparaîtra à la fin, et un jeune étranger, intrus avec qui la sœur partira. C’est tout, mais on n’a rien dit. On n’a rien dit de la force de ce film, où le cinéaste retrouve ses accès de filmeur impressionniste, ne peignant pas un tableau léché mais jetant des touches fébriles de lumière sur l’écran, jouant à cache-cache avec le flou et le contraste. Et l’obscurité. Sur ce plan, Grandrieux est fidèle à son mot-manifeste, “sombre”. Il déploie un océan de pénombre. Pourtant la noirceur désespérée n’est plus de mise ici. Reste une sourde inquiétude, liée notamment à la maladie d’Alexi, qu’à un moment on croit fatale.
Malgré la rude et abstraite existence des personnages, on atteint une forme de sérénité, de plénitude, voire de jubilation. Fruste et parcellaire. Un film doux et puissant, tellurique, charnel, cosmique, où le moindre éclat de réel est magnifié par l’action-filming de Grandrieux. Quelqu’un a comparé Un lac à Sokourov : le principe de ce film, malgré la rareté des paroles, est proche de ceux du cinéaste russe, qui distend la réalité pour mieux la voir. D’ailleurs, les comédiens viennent tous de l’Est, s’exprimant dans un français heurté, qui renforce l’inquiétante étrangeté de cette eau-forte d’une splendeur exténuante.
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