Les errements d’un jeune apprenti poète dans un Sète qui ploie sous le tourisme et la chaleur. Un regard acéré. Un ton original et amusant.
En vacances à Sète et au sortir de l’adolescence, Rémi déambule entre les rues et les plages, seul, un petit carnet à la main, à la recherche de l’inspiration. Un seul désir l’anime : achever enfin l’écriture de son poème.
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Loin du grand frisson romantique, le premier long métrage de Damien Manivel est avant tout une comédie slow burn sur l’inconsistance des êtres, où l’on s’amuse de scène en scène à voir tomber à plat les élans solennels d’un Chateaubriand en tongs. Autour de lui, la petite foule des vacanciers lézarde sous le soleil de plomb, indifférente à ce garçon solitaire au teint
de crevette, évitant peut-être même son regard insistant, qui semble toujours appeler de ses vœux une rencontre, une vision, n’importe quoi qui fasse enfin déferler sur lui la sensation du sublime.
Ce que filme Manivel, c’est le monde qui met un méchant râteau à la poésie, monde qui n’offre plus en spectacle que sa drôle d’insignifiance : les loisirs vulgaires, le défilement inerte du temps, l’ennui absurde du quotidien. L’idéaliste explore, furète, sonde l’horizon avec une ardeur inébranlable mais le diagnostic reste le même : il ne se connecte plus à l’univers sensible. Est-ce le monde qui s’est appauvri ou l’œil du poète ? Rémi cherche la réponse en tentant de suivre une sorte de manuel du petit artiste en campagne : il se trouve une muse, une jeune Sétoise qu’il peine à impressionner quand elle daigne l’accompagner au musée ; il se jette à la découverte des sensations offertes par la nature, grâce à un jeune pêcheur qui tolère peu à peu sa présence, et l’emmène parfois en mer ; et surtout il boit, la nuit, dans des rades où il est à peine en âge d’entrer.
Un jeune poète a donc les qualités de ses défauts. Le film prend quelques longueurs, affalé qu’il est sur les déambulations de Rémi, et lui-même enclin à la flânerie, à l’effeuillement hasardeux des situations. Il n’y a cependant que dans cette longueur que se déploie l’originalité de Damien Manivel, qui est de faire comme son jeune héros : regarder la platitude des existences non pas comme quelque chose de vide, mais comme quelque chose de grand et d’impénétrable, comme une énigme enfouie sous une apparence de vanité.
En avant-programme est présenté La Dame au chien, son court métrage filmé quatre ans plus tôt, avec le même acteur. On distingue dans le regard de cette grosse dame noire – qui accueillait alors dans sa maison de banlieue un Rémi adolescent et lui faisait des avances qu’il n’était pas capable de comprendre – une immense fatigue de l’être, une paresse qui confine à l’hébétude. C’est dans ce court sans doute que Manivel capte le plus intensément cette indicible majesté de l’ennui qui fait la beauté de son œuvre naissante. Une voie dans laquelle Un jeune poète réussit certes un peu moins, tout en précisant cette drôle de posture : du cinéaste à son personnage se dessine le portrait dédoublé d’un artiste acharné, comme échoué sur le monde, obsédé par le rien, et tragiquement drôle.
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