Un jeu d’enfants inaugure Bee Movies, une collection de séries B à la française, respectant les conventions économiques du genre lancée par Fidelité productions.
Sept films sont actuellement en production. Interview du réalisateur Laurent Tuel et de son actrice Karine Viard.
Comment êtes-vous arrivé dans la collection Bee Movies ?
L.T : Au départ Fidélité productions voulait créer un label, Bee movies pour revenir au principe de la série B : engager des scénaristes et faire intervenir des réalisateurs dont c’était le premier ou le deuxième film. Des gens avec qui ils avaient envie de travailler, pas forcément des gens dans le système. Pour certains, ce sera même leur premier long-métrage. Le postulat entraînait donc que ce soient des films financés avec peu d’argent et qui se fassent vite, que des réalisateurs puissent avoir accès à des scénarios achevés, sans avoir à passer du temps à les écrire.
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Ce concept du réalisateur en tant qu’exécutant, et pas forcément d’auteur est quelque chose qui n’existe quasiment plus en France
J’adorerais recevoir un scénario écrit par quelqu’un d’autre, dire : ça me plaît, je veux le tourner comme ça. Maintenant il y a toujours un travail, même minime de réécriture, de réappropriation du texte. Là, on m’a donné un traitement de sujet, pas vraiment un scénario, d’un des éléments de la collection. C’était pas mal, inspiré des films de Russ Meyer, avec des filles un peu violentes’ Mais j’avais très peur qu’il ne puisse pas être réalisé tel quel. Esthétiquement, je pensais que ce n’était pas tout à fait possible de le faire correctement en France. J’ai préféré dire non. Les gens de Fidélité m’ont dit qu’ils étaient néanmoins intéressés pour faire un film avec moi et m’ont demandé si j’avais des idées. J’avais effectivement un projet auquel s’étaient intéressés des producteurs anglais, je leur en ai parlé. Le film s’est écrit en cinq mois, est entré rapidement en production et est devenu le premier de la collection à être réalisé.
Cette collection est initiée et gérée par des producteurs, quelle influence cela a t-il dans le processus créatif ?
Un film est toujours un travail d’équipe. Un réalisateur ne fait pas un film seul. La relation producteur-réalisateur doit être très claire dès le départ pour qu’il y ait le moins de frustrations possible d’un côté comme de l’autre, en tous cas de prises de pouvoir. Fidélité avait un droit de regard sur l’écriture, mais j’avais de toutes façons besoin d’avoir un retour sur ce qu’on faisait.
Le thème de l’enfant possédé ou diabolique au cinéma a généralement une connotation typiquement anglo-saxonne
Je ne saurais pas l’expliquer. Si on cherche dans la littérature Française, on va trouver à la rigueur la comtesse de Ségur qui s’en rapproche (rires). J’avais envie de faire un film fantastique partant d’une situation réelle, de quelque chose de quotidien, proche des gens. On a tous été enfants, on aura vraisemblablement tous des enfants’ En partant de là, s’interroger sur la folie, le dérapage tout en y immisçant le fantastique était quelque chose qui m’excitait. Le Bien existe, le Mal aussi. Quand on lit des faits divers horribles, on se demande toujours ce qui s’est passé. Pour moi, c’est la preuve de l’existence du Mal. On peut l’expliquer avec des raisons concrètes. J’avais envie de suivre l’idée du Mal qui se perpétue, qui se transmet.
Le personnage central est la mère des enfants. D’après vous d’où vient la tradition de personnages féminins dans le cinéma fantastique ?
J’ai le sentiment que les femmes sentent mieux les choses, que les hommes sont un peu couillons, plus lourds. Un homme a les mêmes facultés qu’une femme à ressentir ce qu’il se passe autour de lui s’il fait l’effort de rester ouvert. Les femmes ne sont pas plus réceptives, mais plus attentives que les hommes à ce qu’il se passe dans la vie. Un personnage féminin captera mieux les dérèglements, alors qu’un type, il faut que ça lui arrive dans la gueule pour qu’il comprenne.
Karin Viard : C’est assez joli de filmer un visage féminin traversé par la terreur. Il y a quelque chose d’inspirant à voir la fragilité sur le visage d’une femme
L.T : On marche dans un stéréotype en faisant ça, mais est-ce qu’un homme peut avoir physiquement aussi peur qu’une femme à l’écran ? Ceci dit, ce serait intéressant de faire un film sur un homme qui s’angoisse sur ses enfants, que sa femme ne s’aperçoive de rien.
K.V : Il y a quelque chose de cet ordre-là dans Volte Face, où toutes les émotions passent par les visages des deux hommes. Mais pourtant ça n’a rien d’aussi aspirant Je ne crois pas que le visage d’un homme puisse incarner la terreur.
L.T : Une femme qui a peur et qui se bat, on peut en faire une héroïne. C’est plus difficile de faire un héros d’un homme qui a peur.
La convention, les codes du genre sont-elles une contrainte pour une actrice ?
K.V : C’est une contrainte mais la liberté vient de là. C’est donc intéressant de pouvoir s’en affranchir. Je n’ai pas le sentiment d’avoir toujours réussi à le faire mais c’est une contrainte qui n’a rien de repoussant quand il s’agit de subordonner au genre. C’est-à-dire d’être un élément au même titre que la caméra, le décor. Faire partie de ces choses qui concourent à faire un plan alors que ce n’est pas la vérité de l’acteur qui prend le dessus sur le reste. Il faut rester assez humble tout en sachant où on met les pieds. C’est une drôle d’alchimie. En fait, il n’y a qu’une personne qui savait réellement ce qui se passait c’était Laurent. Je n’avais pas du tout cette conscience là. J’essayais de comprendre ce que je devais faire. Tourner très vite amène forcément l’efficacité, on a pas le temps d’appréhender les choses, on a pas la liberté d’incubation, de se préparer psychologiquement pour être pile dans l’émotion lorsqu’on tourne une scène. Ce qui donne une espèce d’énergie. Quand je vois le film, je me dis que si on avait eu du temps, mon travail aurait été très différent, mais je ne peux pas dire que ça aurait été mieux. Est-ce que je ne me serais pas perdue dans un tourbillon de psychologie ? Je ne sais pas. Faire ce film n’était pas confortable mais passionnant.
Le cinéma de genre contraint-il à une esthétique précise ?
L.T : C’est sûr. Là on a énormément travaillé la lumière, mais le film aurait pu être tourné en plein jour et être aussi angoissant. Trop de lumière peut créer un sentiment d’inquiétude. Ça a été une de mes questions : comment réussir des scènes de jour et leur donner des aspects surréels. J’avais envie de donner un climat particulier à ses scènes en plein jour à Paris. Je ne pouvais pas n’utiliser que des scènes de nuit ou dans des couloirs. C’est ce qui fait aussi que le film n’est pas tout à fait un huis-clos, ces scènes d’extérieurs. J’avais besoin d’utiliser des lieux qui développent des sentiments, aient un impact.
L’appartement est un personnage à part entière
L.T : Pendant les repérages, j’ai dîné dans l’appartement d’une amie qui m’a inspiré. On n’a pas pu y tourner mais j’ai recherché quelque chose de similaire, parce que cet appartement m’a donné envie de raconter des histoires, des envies de scènes où quelqu’un frappe à la porte et qu’on est inquiet parce qu’on ne sait pas qui c’est. Un appartement me paraît être le décor idéal pour ce type de film, alors que si on allume la lumière, c’est un lieu normal. Où je voulais amener la peur. Je voulais qu’à un moment donné, le personnage de Marianne ne puisse plus sortir de cet appartement, qu’elle aie la sensation d’agression, que le fait de devoir en sortir soit une décision forte venant d’elle, parce que l’extérieur lui faisait vraiment peur. J’ai toujours eu envie de retourner dans les endroits où j’ai vécu quand j’étais petit. Ça a été un peu le postulat de départ du film sauf que j’ai retourné la situation en me plaçant du côté de la famille qui ouvrirait la porte.
Le film oppose un couple d’enfants à un couple d’adultes. Dans les deux cas avec un caractère féminin dominant
L.T : Ce n’est pas vraiment pour les opposer : le couple d’enfant est très lié alors que celui des parents beaucoup moins. Pour moi ces enfants n’en font qu’un, une entité, quelque chose tenant de la gémellité. Plus l’histoire avance, plus les parents se séparent alors que les enfants s’unissent.
Certaines scènes ont un aspect fantasmatique, est-ce une manière d’infiltrer l’économie de la série B qui amène généralement à une forme réaliste ?
L.T : J’aurais pu donner des réponses concrètes à ces scènes, dire si c’est la réalité ou non, mais je préférais fonctionner sur l’ambiguïté là-dessus. J’avais envie de travailler sur la schizophrénie du personnage féminin, toute sa peur de retomber en dépression. Est-ce qu’elle a des rapports avec d’autres hommes de sa propre volonté ou est-ce que ce sont les enfants qui influents sur elle. À chacun son explication. Il me semble que c’est une bonne chose de ne pas donner des réponses définitives. Il est toujours compliqué de savoir doser les informations, savoir jusqu’à quel point on peut en donner. Certaines personnes vont avoir besoin d’éléments supplémentaires pour comprendre les personnages. C’est pour ça que j’ai rajouté la scène où apparaît le père de Marianne, qui n’existait pas au départ.
Quand on fait une série B avec des acteurs populaires, ayant un statut de vedette, comment s’abstraire de cette image ?
L.T : C’est justement ce qui m’intéressait. Ce n’est pas innocent d’avoir voulu travailler avec Charles et Karine. Je leur trouvais un potentiel large, riche qui n’avait pas encore été exploité dans certains aspects. On a toujours fait de Karine un personnage volontaire, décidé, un peu grande gueule. Je la voyais en héroïne hitchcockienne à la Marie dans le rapport à la folie. Je voulais filmer le calme qu’il y a dans son visage.
Charles me fait penser à Buster Keaton. Les quelques touches d’humour du film viennent de lui. Comme Keaton, on ne voit jamais Charles rire dans le film mais il déclenche fréquemment des moments d’absurde qui font rire.
Le passif et l’imaginaire autour de la série B fait que les cinéphiles vont forcément chercher des références dans votre film. Est-ce facile d’intégrer sa patte dans le cinéma de genre aujourd’hui ?
L.T : Je l’ai abordé sans complexes. Il y a forcément des figures imposées. Mais par exemple, Stanley Kubrick n’aurait jamais fait Shining s’il était posé la question de savoir si ça avait été fait avant. Il y a pourtant dans Shining des éléments qu’on a vus deux cents fois avant et qu’on verra deux cent fois après. Il y a quelque chose d’instinctif, de première réaction à se dire à la sortie d’un film : ah, ça me fait penser à tel ou tel autre film. J’espère pourtant qu’il y a des choses plus personnelles dans le mien. Si on connaît mon film précédent, on verra que c’est dans la même lignée.
La convention du genre, ça passe aussi par la durée, en l’occurrence moins d’une heure et demie ?
L.T : Absolument. Très souvent les films sont un peu trop long, j’y trouve un quart d’heure de trop. Quand on voit La féline où L’homme-léopard, ça fait une heure dix et tout est dit. Un jeu d’enfant est un peu plus long qu’un épisode de serial, mais j’y mis ce que je voulais mettre. Pourquoi faire long ? Si c’est pour emmerder le spectateur, autant couper.
Etre derrière le premier film d’une collection confère-t-il une responsabilité particulière ?
L.T : J’avais envie de réussir un film le meilleur possible, qui aie une certaine élégance. Pour les autres films, chaque réalisateur ira vers ce qui l’intéresse le plus. Il n’y a pas de volonté d’imprimer une patte sur la collection dès le départ.
On dit que la restriction financière dans un budget stimule la créativité. À l’inverse est-ce trop d’argent peut y nuire ?
L.T : Je ne vois pas en quoi avoir trop de moyens serait un handicap. Maintenant ça dépend du sujet; ça peut devenir du gaspillage. Certains films nécessitent cent millions d’autres non. C’est rare d’avoir trop d’argent au cinéma, même quand on a 70 millions, on en voudrait 80. Tous les réalisateurs diront qu’ils n’ont pas assez d’argent par rapport à leur projet. Moi le premier.
La notion cinéma de genre-cinéma d’auteur a-t-elle lieu d’être ?
L.T : Mon premier film, Le rocher d’Acapulco a été perçu comme un film d’auteur, alors que j’ai voulu y mettre tout mon amour de la série B, du cinéma populaire; qu’il est plus axé là-dessus que sur l’aspect film d’auteur. Aujourd’hui on me demande de faire un film de genre, j’ai envie d’y apporter des interrogations plus auteurisantes. J’aime les contrastes au cinéma, que les choses ne soient pas établies. Quand je fais un film je ne peux pas m’empêcher de penser à d’autres films, mais autant ceux de Bava que Tarkovski. J’aime autant Fulci que Terrence Malick J’espère juste que tout ça s’harmonise. La série B est plus que jamais un espace de liberté, ne serait-ce que parce que par exemple on ne dépendait pas du diktat des chaînes qui interviennent dans le financement de la plupart des films français.
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