Mise en abyme iranienne : l’expression finira par devenir un pléonasme. En attendant, Makhmalbaf signe un film magnifique où il réexamine les ambiguïtés de son passé. Avant d’aborder ce film majeur, il faudra se débarrasser impérativement de tout un tas d’a priori du genre “Il n’y a pas d’autre cinéaste iranien qu’Abbas Kiarostami”, voire “Marre […]
Mise en abyme iranienne : l’expression finira par devenir un pléonasme. En attendant, Makhmalbaf signe un film magnifique où il réexamine les ambiguïtés de son passé.
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Avant d’aborder ce film majeur, il faudra se débarrasser impérativement de tout un tas d’a priori du genre « Il n’y a pas d’autre cinéaste iranien qu’Abbas Kiarostami », voire « Marre de ces mises en abyme systématiques de la réalité dans la fiction ». Une fois encore, on retrouve en effet ce dispositif tarabiscoté et récurrent dans la cinématographie iranienne : le film s’ouvre sur la visite d’un ancien policier chez Makhmalbaf à Téhéran pour lui demander un rôle dans son prochain film. Or, les deux hommes se sont connus vingt ans plus tôt. A 17 ans, alors militant contre le régime du Shah, Makhmalbaf s’était battu avec ce policier pour le désarmer. L’affaire avait mal tourné : Makhmalbaf avait passé quelques années en prison. Au lieu d’un rôle, le réalisateur lui propose de reconstituer cet épisode dramatique dans un film. Chacun de son côté disposera d’une équipe de tournage. Ils dirigeront et filmeront « leur personnage » de leur point de vue. Le casting du film dans le film (clin d’œil à Salam Cinema) commence…
Passeport idéal pour ce voyage exigeant : sa splendeur visuelle. Dès le premier plan, le chant du muezzin s’élève sur un silence « religieux » et le spectacle vibrant et sensuel de la ville s’épanouit. Dès lors, il suffit de se laisser glisser. Et quand l’attention menace de se relâcher, Makhmalbaf sait nous prendre par la main. Exemple : une scène dans une voiture commence en caméra subjective, manière d’impliquer l’audience. Mais le réalisateur la termine en filmant le véhicule de l’extérieur, nous rendant ainsi notre place de spectateurs. Le parcours personnel de Makhmalbaf, ancien religieux intégriste, violemment opposé au cinéma, puis devenu cinéaste critique du régime du Shah d’abord, mais aussi des dogmes islamiques par la suite, est tellement passionnant qu’on ne saurait imaginer de meilleur matériau pour ses films. Une fois encore, il plonge ici dans son passé, ausculte ses contradictions et livre un film qui emporte l’adhésion. Bien sûr, il reste çà et là quelques traces de blocages : on peut se demander par exemple pourquoi la jeune fille porte un voile alors que la reconstitution a lieu à l’époque du Shah, précisément celle où les femmes n’en portaient pas. Mais pas de quoi lancer une fatwa : la fin, métaphore superbe et limpide, élude sans appel toute ambiguïté sur le message de l’auteur.
Et puis, il faut compter avec l’humour du cinéaste. Autrefois crispé, il n’hésite pas ici à se moquer de lui-même dès que l’occasion se présente. Ainsi, lors du casting pour son propre rôle choisit-il le comédien qui déclare vouloir « sauver l’humanité ». Ironie, mais aussi sincérité puisque l’humain au-delà du religieux, c’est le programme de Makhmalbaf aujourd’hui. Illustrations à tous les étages : le jeune acteur cherche éperdument celle qui partagera son vœu, le policier commence par rejeter le comédien qui doit l’incarner puis finit par lui transmettre le meilleur de lui-même… Tous les artifices s’effacent derrière ce qui taraude Makhmalbaf : la vérité de l’homme, sa capacité d’aimer et de souffrir, de rechercher la perfection malgré ses faiblesses. Un programme simple mais ambitieux traité avec grâce dans un film court mais dense. Ce postulat, Makhmalbaf l’a d’abord développé dans de nombreux livres : il est un écrivain reconnu dans son pays. Mais il est aussi, et surtout en l’occurrence, un grand metteur en scène. Sans aucune ostentation, la composition des plans est un modèle de rigueur, le découpage d’une grande intelligence, et la caméra d’une fluidité impressionnante.
Deux semaines après le virtuose film gigogne de Raoul Ruiz, Makhmalbaf prouve à son tour que le cinéma à son meilleur peut être un vertigineux miroir grossissant de la beauté cachée et de la réalité complexe du monde. Que ce soit pour contourner la censure ou par simple goût du trompe-l’œil, Mohsen Makhmalbaf nous balade, à tous les sens du terme.
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