Une forte impression de déjà-vu. Tout le monde croit connaître Un Homme est passé. Comme L’Homme des vallées perdues (Shane, 53) de Stevens, le film de Sturges est plus qu’un “classique”, une épure qui devient étalon, une synthèse ramassée qui appelle des variations infinies et d’innombrables décalques, une quintessence qui assume sa fonction de borne […]
Une forte impression de déjà-vu. Tout le monde croit connaître Un Homme est passé. Comme L’Homme des vallées perdues (Shane, 53) de Stevens, le film de Sturges est plus qu’un « classique », une épure qui devient étalon, une synthèse ramassée qui appelle des variations infinies et d’innombrables décalques, une quintessence qui assume sa fonction de borne milliaire. Tout y est, les archétypes du western comme ceux du « film noir », l’homme solitaire face à la bourgade coupable, la petite communauté apeurée et le sursaut moral, la casquette rouge de Robert Ryan (le Méchant) et le costume noir de Spencer Tracy (le Bon), le respect scrupuleux de la règle des trois unités et les paysages désertiques magnifiés par le Scope. Ni effets ni fioritures, seulement la mécanique implacable du récit, la rugueuse simplicité des dialogues (« What’s wrong with this town' ») et la présence physique de comédiens marmoréens qui connaissent leur répertoire. Mal vu des dictionnaires (le vrai grand, c’est l’autre Sturges, Preston, et c’est indéniable), et de tous ceux qui n’ont pas découvert Règlements de comptes à OK Corral à l’âge tendre, John Sturges ne fait pas le malin et se contente d’un découpage au classicisme abrupt, à l’efficacité aussi raide que la démarche de Tracy, un plan après l’autre, sans se presser et sans en rajouter. Un Homme est passé fait partie de ces films qui ne sont pas assez riches pour dissimuler quoi que ce soit, qui offrent tout de suite le peu qu’ils possèdent, sans rien remiser dans l’arrière-boutique. Mais c’est déjà beaucoup. Signé Millard Kaufman, le scénario est si remarquable qu’il est parfois attribué à Dalton Trumbo, alors blacklisté, comme s’il fallait absolument trouver un grand nom pour expliquer la réussite du film. Mais si l’allégorie politique sur les ravages du maccarthysme tout proche et la restauration nécessaire des valeurs d’équité et d’unité est claire comme de l’eau de roche, elle ne suffit pas à rendre justice à une oeuvre dont la sécheresse plastique et psychologique prend sans arrêt le risque de venir contredire l’amorce de « message ». De par sa brièveté et son refus de tout pathos (réservé à la musique un peu envahissante d’André Previn), Un Homme est passé est à l’image de son héros. Il accède à la grandeur en optant pour une stricte économie de ses buts et de ses moyens.
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