Si Scarface était du heavy-metal trépidant, L’Impasse serait plutôt un long blues. Le rythme et le style de vos deux films semblent épouser les caractères de leurs personnages ?
Scarface était une sorte de Richard III version mafia. Que dois-je faire ? Qui vais-je tuer ? Comment vais-je tuer ? A qui vais-je mentir ? Qui vais-je séduire ? Toujours avoir plus, devenir plus gros, plus puissant, plus riche… L’Impasse est un film beaucoup plus méditatif. Dans Scarface, tout le monde finit par crever. C’est une montée frénétique vers la mort. Dans L’Impasse, juste avant la mort, Carlito redéroule tout le chemin qui l’a mené jusque-là. Il est beaucoup plus humain, il a un cœur, il aime une femme, il raisonne, il a un sens très fort de la loyauté. Il y a quelques points communs entre eux, mais surtout des différences. L’empire de Carlito était à taille humaine, il ne lui a pas fait perdre le contact avec la rue. Scarface fonçait aveuglément vers la mort, Carlito y va lucidement et à reculons. Il y a chez lui du regret, du désenchantement : « Je suis maudit, je suis mort, comment en suis-je arrivé là ? » Cela rend tout son commentaire sur sa vie assez ironique. Alors le film est plus lent, plus réflexif. Scarface s’enfonçait dans la coke, il en prenait de plus en plus : du coup, le film allait de plus en plus vite, jusqu’à l’explosion finale.
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Scarface est aujourd’hui un film culte, le plus loué en vidéo aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous que le film n’ait pas marché en salles à sa sortie et qu’il lui ait fallu dix années pour être reconnu ?
Les critiques n’ont pas aimé Scarface parce que le film était trop cynique, brutal, violent, exagéré. A cette époque, il y avait tout un discours médiatique contre la violence au cinéma. Ce film n’allait pas dans le sens du « politiquement correct » de l’époque. La mise en scène, les qualités du film étaient occultées, les réactions négatives se situaient aux niveaux social et politique. Rétrospectivement, on se rend compte que Scarface, c’était pratiquement du néo-réalisme en avance sur son temps. Regardez ce qu’on a appris depuis sur Miami, sur les gangs cubains, sur l’intensité du trafic de coke dans cette région. Le feuilleton Miami vice a vulgarisé tout ça, il y a eu des documentaires, des reportages télé, des unes de journaux. Seulement, avant Scarface, personne n’évoquait ce problème. Aujourd’hui, on se rend bien compte que ce film ne sortait pas uniquement de « l’imaginaire sauvage et dérangé » de Brian De Palma, qu’il montrait une situation réelle sans exagérer. Et puis le script était signé Oliver Stone. Après Scarface, Oliver s’est avéré un cinéaste respecté pour ses préoccupations sociales et politiques : du coup, on a revu mon film d’un autre œil. Scarface est devenu un film culte parce qu’il tient debout tout seul, sans les béquilles d’un contexte sociopolitique. Rien n’est pire que d’être à la mode : quand on est dans le vent, on est sûr d’être largué l’année suivante. Prenez Godard : il était très à la mode dans les années 60. Aujourd’hui, plus personne ne va voir ses films. On les regarde comme des documents historiques, des témoignages sur les sixties. Ils étaient trop liés au contexte socioculturel de l’époque. Ce qui rend les films éternels, ce sont les émotions profondes qu’ils dégagent. Et ce qui est le plus périssable, ce sont les messages sociaux ou politiques.
Vous dites que le cinéma et le sociopolitique ne vont pas ensemble. Mais quand vous faites Les Incorruptibles en pleine période Reagan, ce film sur un héros qui veut éradiquer la corruption n’a-t-il pas des résonances politiques ?
Elliott Ness était un officier de police, qui voulait avant tout faire respecter la loi. A partir de là, je ne vois pas en quoi le film se réfère aux années Reagan. La vie politique américaine se résume aux républicains et aux démocrates : ces tendances ne changent pas fondamentalement la société américaine, leur influence se ressent sur des choses très périphériques. Dans les années 80 et 90, l’Amérique est devenue de plus en plus conservatrice. Les films sont de plus en plus conservateurs, pas seulement sur le plan du contenu mais aussi formellement. L’année dernière, j’ai fait L’Esprit de Caïn en essayant de déconstruire les formes narratives classiques. Le sujet de ce film, c’était « méfiez-vous de ce que vous voyez, ce n’est pas toujours ce que vous croyez voir ». J’aurais fait ce film dans les sixties, il n’y aurait eu aucun problème car l’époque se prêtait à l’expérimentation. Malheureusement, je l’ai fait dans les années 90 et les gens ont été déroutés. Ils sont désormais habitués aux formules narratives extrêmement simplifiées des films télé, incapables de regarder des choses un peu plus complexes. Dans les années 60, un film comme L’Année dernière à Marienbad qui faisait voler en éclats la narration linéaire était bien reçu. Aujourd’hui, devant un film comme L’Esprit de Caïn, on se demande où est le début, où est la fin, où est la pause prévue pour caser la publicité.
Pourquoi conférez-vous à vos gangsters une dimension mythique ?
Parce qu’ils sont les successeurs de mythes américains plus anciens : les cow-boys, les fines gâchettes, les rois du six-coups. On en revient toujours à la fameuse phrase du film de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance : « Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » C’est ce qui fait la dimension romanesque de l’histoire de l’Amérique. Prenez Elliott Ness : c’était un gradé de commissariat, un homme qui n’avait pas plus de relief que n’importe quel employé de bureau. Y a-t-il un spectateur qui serait intéressé de savoir ce qu’était vraiment sa vie, son travail, avec la paperasserie et les problèmes administratifs ? Par contre, la mythologie développée par Les Incorruptibles, avec les speakeasies (bars clandestins), les mitraillettes à barillets, les fusillades sans merci, fascine tout le monde. Aujourd’hui, c’est pareil, les gangsters font intégralement partie du mythe de la Ville.
Ce mythe du gangster a-t-il été créé ou simplement amplifié par le cinéma ?
Il existait déjà bien avant l’invention du cinéma, dans les dime novels, les chroniques historiques qui ont accompagné la construction de l’Amérique. Des personnages comme Jesse James, Billy The Kid étaient déjà considérés comme des légendes à leur époque. Les journaux parlaient des cow-boys et autres desperados, ils amplifiaient et transmettaient leurs méfaits et leur légende. Il y avait une es
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