L’impuissance d’une écrivaine névrosée traitée en comédie fantasque et finement habitée.
Voilà une quinzaine d’années que Sophie Fillières trace son chemin dans le cinéma français, de façon discrète (un film tous les quatre, cinq ou six ans depuis Grande petite en 1994) mais têtu, creusant toujours un peu le même sillon. Ce sillon, elle ne l’a d’abord pas creusé seule : ce fut celui d’un certain courant du cinéma d’auteur des années 90, féru de psychanalyse, travaillant sur le registre de la comédie les doubles fonds du langage, les lapsus, les malentendus, les ratés de la communication. Il y avait aussi les premiers films de Pascal Bonitzer (dont Sophie Fillières fut la compagne), ceux de Noémie Lvovsky (dont elle fut la coscénariste) ou ceux de Danièle Dubroux. Aujourd’hui, alors que certains se sont éloignés de ce cinéma fait de variations d’humeur et d’états d’âme drolatiques pour des formes plus narratives, plus grand public, le cinéma de Sophie Fillières s’est assez peu modifié, propose peut-être même la formule la plus chimiquement pure d’un courant qu’on pourrait croire un peu daté, mais qui pourtant trouve avec Un chat un chat une forme très gracieuse et tout à fait tonique.
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Le moins qu’on puisse dire est que le film ne bénéficie pas d’un récit frénétique. L’écriture du scénario est pourtant très concertée, très fine. Mais elle consiste plutôt à une habile juxtaposition d’états, une subtile météorologie de sentiments, qui vont d’une dépression qui ne dit jamais tout à fait son nom à un élan vital retrouvé. Nathalie (Chiara Mastroianni) est écrivaine. Ses premiers romans lui valent un certain crédit, pas vraiment non plus la gloire, et elle peine considérablement à démarrer un nouveau texte. Sa vie, comme son appartement entièrement recouvert de bâches en plastique, est en chantier. Elle crèche sur le canapé de l’appartement de sa mère (Dominique Valadié) avec son petit garçon. Lorsque surgit dans sa vie une très jeune fille, Anaïs (Agathe Bonitzer), qui admire son œuvre et s’est mis en tête de devenir le sujet de son nouveau roman. Nathalie ne veut pas de cette muse autoproclamée, et entre les deux femmes s’esquisse un jeu de chat et de souris, d’intrusion et d’évitement, jusqu’à ce que le jeu d’offre et de demande finisse par s’inverser.
Au terme de ces chassés-croisés, l’écrivaine se remet au travail ; la jeune khâgneuse passe l’épreuve du feu du premier amour et du premier rapport sexuel. Il est un temps pour aimer ; il est un temps pour écrire. C’est la conclusion étonnante et mélancolique de cette convergence entre deux âges de la vie d’une femme, aussi furtive que le croisement de deux rames de métro sur une même ligne (un des plans les plus émouvants du film).
Entre-temps, le film aura exercé toute sa loufoquerie narquoise, alignant les situations un peu gênantes, les mal-être confus, l’embarras amusé. L’embarras, ce sont par exemple les accès de somnambulisme dont est victime l’héroïne, qui la mènent invariablement vers la cuisine, où tel un zombie elle déverse de la farine dans un récipient, brise des œufs qu’elle mélange à la pâte avec leur coquille et malaxe la matière avec une énergie furieusement régressive. “Ma chérie, tu fais encore ton gâteau”, lui dit doucement sa mère avant de la réveiller d’une gifle et de lui présenter son amant en slip dans la cuisine au milieu de la nuit.
Voir sa mère sexagénaire au sortir d’un rapport sexuel avec un inconnu du même âge, les mains tout empoissées d’une matière vaguement fécale fabriquée dans son sommeil, c’est le genre de dérèglement des rapports, de situations de honte détachées d’un cauchemar enfantin que ménage avec beaucoup de malice le film. “Et que fait-on de sa merde ?” est la question que pose ce gâteau immonde tout en grumeaux et fracas de coquilles. Des gâteaux de princesse ? Des gloubiboulgas abjects ? Des romans ?
Le film plonge ses mains dans la pâte peu reluisante des inhibitions, de l’impuissance, des petites phobies, et tout l’ordinaire de la boue névrotique de chacun. Mais cette pâte n’est jamais crue, chauffée à blanc par un humour stylisé qui gomme toute forme attendue de complaisance au profit d’une drôlerie aussi poétique qu’attachante.
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