Avec la saison 3 de sa série phénomène, David Lynch continue d’ensorceler. Magistral.
Comme chaque année, il y aura eu une Palme d’or, mais à titre personnel et en infraction avec tous les règlements cannois, on aura décerné celle de platine à la saison 3, épisodes 1 et 2 de la création culte de David Lynch et Mark Frost. C’est ainsi : le meilleur film de Cannes 2017, et de très loin, est une série télé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On a beau avoir aimé d’autres films, aucun ne nous a ensorcelés avec la même intensité que Twin Peaks, n’a fait jaillir des plans aussi beaux et habités, des virages scénaristiques aussi fous, des inventions aussi barrées (c’est quoi cet organe perché sur un arbre qui parle ?), des moments de terreur aussi flippants.
Les fans retrouveront leurs repères : la ville, son hôtel, son shérif, l’agent Dale Cooper, Laura Palmer, la femme à la bûche (tous avec vingt-cinq ans de plus), la black lodge, les rideaux rouges, les accords de twang guitar de Badalamenti, les loops de sons inversés, le sous-monde de bizarreries et d’horreurs tapi sous la surface rassurante de la smalltown…
Un univers encore plus sombre
Mais Lynch, toujours en avance d’un (ou plusieurs) coup(s), a préféré s’accorder au monde anxiogène tel qu’il est aujourd’hui plutôt que de se contenter des séductions confortables d’une formule gagnante ressortie du formol. Son Twin Peaks 2017 est encore plus sombre, moins scandé par des touches d’humour pince-sans-rire (du moins à la lumière noire des deux premiers épisodes), et prend le large. L’inquiétante étrangeté n’est plus circonscrite au petit bourg de l’Etat de Washington mais a étendu ses tentacules dans toute l’Amérique (soit pour ainsi dire dans le monde entier).
Lynchifiant tout le inland empire US, le cinéaste réinvestit aussi bien tout son lynchland – Twin Peaks 2017 revisitant non seulement Twin Peaks 1990 mais aussi Eraserhead, Blue Velvet, Lost Highway, Mulholland Drive ou Inland Empire. On ne comprend pas tout à TP 2017, et même parfois rien du tout, mais cela n’a aucune importance.
Lynch a toujours su mêler un registre réaliste et une tonalité onirique, un pied dans le terroir américain, l’autre dans les rêves, inventant des points de passage entre la vie et la mort ou dans les couloirs du temps, si bien qu’il suffit de se laisser porter par ses visions chamaniques pour en épouser les logiques étranges. On verra ce qu’il en sera au fil des dix-huit épisodes mais il semble que cette troisième saison soit bien l’œuvre majeure, à la fois récapitulative et ouvrant de nouvelles portes vers l’inconnu, de ce cinéaste-artiste total.
Un objet filmique au-dessus du lot
Quand on disait que le meilleur film cannois était une série télé, cela ne valait pas adoubement de la série télé comme intrinsèquement supérieure au cinéma, mais simple prise en compte que Lynch est au-dessus du lot commun des cinéastes et des showrunners. Si la série est sérielle et le cinéma prototypé, disons que Lynch explose ces dichotomies en ayant inventé la série-prototype (la sérietype ? le filmérie ?).
Twin Peaks, c’est le meilleur des séries (les expérimentations sur le récit, les personnages que l’on voit vieillir, les longues durées qui font du temps réel du spectateur un ingrédient essentiel et c’est encore plus sensible dans ce cas unique d’une série qui revient après vingt-cinq ans…) et le meilleur du cinéma (la puissance formelle, la beauté des plans, la singularité esthétique, l’irréductibilité au formatage industriel…).
Prenons ces plans où un jeune homme regarde un cube de verre dans un loft-hangar new-yorkais. Il ne se passe rien et pourtant, la tension est latente, un mystère rôde, quelque chose va surgir mais quoi ? Aucune série, et peu de films, sont capables de cette magie noire qui ne passe que par la mise en scène et la puissance d’un regard. Oui, Palme de platine.
Twin Peaks saison 3, sur Canal+
{"type":"Banniere-Basse"}