Un film kazakh drôle et tendre, primé à Cannes. Inattendu et bouleversant.
La steppe bien rase du Kazakhstan. Le jeune Asa, de retour du service militaire avec son beau costume de marin un brin ridicule, vit avec la famille de sa sœur et de son beau-frère, un éleveur de moutons assez brusque. Asa hésite entre rester vivre dans cette nature quand même assez hostile (de temps en temps, un gentil ouragan se lève sans prévenir et ravage tout) ou partir à la ville avec l’un de ses amis. Mais voici qu’il tombe amoureux de la fille des voisins, Tulpan, qui cache toujours son visage derrière un voile. Le jour de sa présentation, catastrophe : Tulpan refuse de se marier avec Asa parce qu’il a les oreilles décollées.
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Tulpan, premier long métrage de fiction de Dvortsevoy, un ingénieur aéronautique russe du Kazakhstan devenu cinéaste sur le tard, est un film surprenant. Parce qu’il ne correspond en rien aux critères habituels des films de festival (Tulpan a remporté le prix Un certain regard l’année dernière à Cannes) venus des petits pays (en termes de production) de cinéma : il n’est pas méditatif, ne s’extasie pas devant de beaux paysages vides, et a en outre choisi d’être drôle et tendre (on songe parfois à l’humour d’un Kiarostami, et Tulpan a d’ailleurs les accents d’Au travers des oliviers).
Dvortsevoy n’évite pas toujours les pièges bien connus du “kusturisme” (d’Emir Kusturica, bien sûr), dont le pittoresque et le contraste comique entre le monde moderne et le traditionnel sont les principaux (l’ami aux dents en acier qui écoute du Boney M à fond en conduisant son véhicule de transport “tout-terrain”…). Mais sa mise en scène manifeste une telle volupté, une telle allégresse, une telle tendresse et une telle intimité (toutes les scènes de promiscuité familiale sous la yourte sont magnifiques) avec ces paysans qui vivent toujours sous le régime de la collectivité qu’il finit par nous emporter dans le mouvement du film.
Et puis il y a une scène dans Tulpan qui est proprement sidérante, qui irradie l’ensemble. Une scène dont la sidération tient bien évidemment à une chose très connue au cinéma, que Barthes aurait appelé “l’effet de réel”, et qui échappe à la fois au fil du récit et à la vraisemblance : une sorte de point de fusion entre le réel et l’imaginaire, entre le tournage et l’allégorique, qui a fini par devenir le centre du film, une scène si forte qu’elle a obligé Dvortsevoy à changer son scénario et son montage.
Cette scène, qui aurait ravi Rossellini, filme dans son intégralité la mise bas d’une brebis avec l’aide d’Asa. Et celui qui n’était qu’un jeune incapable va y découvrir le sens de sa vie, prendre conscience de ses capacités, de son courage, de sa patience et de son obstination. Tout cela dans une scène aussi simple sur l’écran. Et c’est sublime.
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