On avait un peu perdu la trace de Tsui Hark. Revenu à Hong Kong, le réalisateur de Detective Dee, qui sort cette semaine, parle de 3D, du marché chinois… et de son admiration pour Danny Boyle.
Depuis son retour au pays en 2000, après un court calvaire hollywoodien, Tsui Hark semblait avoir perdu de sa superbe. Détrôné par Johnnie To, lancé dans une fuite en avant expérimentale qui, si elle lui valut l’admiration de la critique (Time and Tide et La Légende de Zu), le fragilisa commercialement, il ne parvenait même plus à nous envoyer de ses nouvelles autrement que par des sorties DVD confidentielles. Déchu, le roi Tsui ? En pleine forme au contraire, sa besace remplie de héros et de ballets aériens, de créatures merveilleuses et de sortilèges, d’intrigues et de romances.
Et que ceux qui craindraient qu’il ait livré là son chant du cygne se rassurent. Avec une nouvelle dimension à explorer bientôt, l’infatigable Tsui a encore quelques décennies de travail acharné devant lui.
Comment allez-vous ? Comment a marché Detective Dee en Asie ?
Tsui Hark – Le film a été un succès là-bas. Quant à moi je vais très bien, je termine actuellement la postproduction, à Pékin, de mon premier film en 3D : The Flying Swords of Dragon Gate. C’est très excitant.
Detective Dee a été produit par Huayi Brothers, une société chinoise. Cela signifie-t-il que vous n’êtes désormais plus basé à Hong Kong ? Avez-vous plus de moyens pour travailler là-bas ?
Ma société Film Workshop (figure de proue de la nouvelle vague hongkongaise des années 80-90 – ndlr) s’est associée avec cette grosse société pour avoir plus de moyens. Ils financent, distribuent, mais je garde la production exécutive. Ainsi j’ai pu travailler avec un budget confortable – le plus confortable que j’ai jamais eu ! – et des moyens de postproduction importants, sans perdre ma liberté.
Detective Dee est d’une certaine façon l’histoire d’un come-back. Est-ce aussi votre retour ?
Pour faire un come-back, il aurait fallu que je sois parti ! Vous savez, ça fait longtemps que je veux réaliser ce film. J’ai eu l’idée dans les années 80 et je le prépare depuis 2000. Mais à cause de divers contretemps, je n’ai pas pu le faire. Et puis il y a quatre ans, l’homme qui dirige la Huayi Brothers m’a envoyé un scénario sur le même sujet. J’ai décidé que c’était le bon moment.
Vous n’êtes jamais parti, certes, mais la plupart de vos films des années 2000 ont été des échecs publics et vos deux précédents films (Missing et All about Women en 2008) n’ont même pas été distribués en Occident. Comment avez-vous vécu cette période ?
Chacun des films que j’ai fait, je l’ai fait pour mon plaisir, parce que j’y trouvais un intérêt. Parfois, cet intérêt coïncide avec celui du public, parfois non : c’est le lot commun de tout réalisateur. Pour moi, il n’y a pas de films mineurs et de films majeurs : je les aime tous autant. Donc si le dernier a mieux marché, j’en suis ravi, mais je ne l’ai pas conçu comme un come-back.
Dans Detective Dee, la réalité est instable, soumise à variation : on change de visage, on use de subterfuges, on ment… Des motifs qui sont présents dans la plupart de vos films. D’où vous vient cet intérêt ?
C’est tout d’abord une tradition du genre que j’aborde. Dans les récits populaires chinois, les masques ont une grande importance. Avec Detective Dee, nous avons cherché à le faire de façon originale et amusante, d’où les scènes d’acupuncture qui modifient les traits du visage. En outre, l’instabilité du monde est inscrite dans la philosophie chinoise : c’est le principe du yin et du yang. J’en suis naturellement imprégné.
Le film raconte l’ascension d’une impératrice et met en scène plusieurs personnages féminins très forts. Etes-vous un cinéaste féministe ?
(rire) Je n’en suis pas sûr. Il n’y a pas besoin d’être féministe pour s’intéresser à des femmes puissantes. L’impératrice Wu Zetian est un personnage clé de l’histoire chinoise. C’est son ambiguïté et sa cruauté qui m’intéressaient le plus, ainsi que son efficacité. Elle réussit ce qu’elle entreprend, contrairement à Cléopâtre ou d’autres femmes qui finissent souvent par échouer. Il faut aussi savoir qu’à l’époque où se situe le film, les femmes étaient plus libres que maintenant.
Quels cinéastes contemporains admirez-vous aujourd’hui ?
J’aime beaucoup le réalisateur de Slumdog Millionaire…
Danny Boyle ?!
Oui, voilà, il a un style très visuel, foisonnant. Et beaucoup d’humour.
Et la 3D ? C’est une révolution ou seulement un outil en plus ?
C’est historique. Pour moi, c’est aussi important que le passage du muet au parlant, puis de l’arrivée de la couleur. Chacune de ces améliorations, visant à rendre le cinéma plus proche de l’expérience de la réalité, a été contestée à ses débuts, pour des raisons qui font aujourd’hui sourire. Puis elles se sont imposées, parce que le spectateur désire sans cesse augmenter son expérience et les réalisateurs avoir de nouveaux outils. Nous percevons le monde en 3D, aucune raison que ça n’atteigne pas le cinéma. Ce qui manque à la 3D aujourd’hui, c’est une culture, une habitude. On n’a pas encore vu assez de films en 3D, donc on a du mal à en saisir l’originalité.
Vous parlez de se rapprocher de l’expérience réelle, c’est pourtant l’effet inverse qui se produit. Martin Scorsese (qui termine actuellement L’Invention d’Hugo Cabret en 3D) disait justement qu’en 3D les acteurs ressemblaient à des statues mouvantes, à des sculptures…
C’est un point intéressant que vous soulevez. Prenez ce qui s’est passé avec la couleur. Les couleurs que vous voyez sur l’écran ne sont pas celles que vous voyez dans la réalité ; elles peuvent même en être très éloignées, dans le cas d’une volonté expressionniste. Ce n’est pas pour ça que le film en couleur est moins réel. La réalité d’un film est quoi qu’il en soit une construction. La 3D n’échappe pas à la règle. C’est un formidable outil pour nous permettre de créer des mondes qui paraissent plus réels, mais ne le sont pas.
Vous avez aimé Avatar ?
Oui mais moins pour des raisons techniques, même si c’est très impressionnant, que pour l’histoire, pour la façon dont Cameron parvient à nous intéresser à des êtres qui ne sont pas faits de chair et de sang.
Depuis la rétrocession, le cinéma hongkongais a perdu son souffle et ne l’a jamais vraiment retrouvé, malgré le retour au pays de John Woo, Ringo Lam, vousmême. Comment voyez-vous son futur ?
L’événement majeur des dernières années, c’est la ruée du cinéma hongkongais vers le marché chinois. Ça nous oblige à respecter certaines règles : le public chinois est assez conservateur, aime certains genres (le wu xia pan par exemple), d’autres moins… Quant aux anciens qui reviennent, c’est naturel : ils ont fait le tour à Hollywood, ils ont le mal du pays, voilà tout (rires).
Propos recueillis par Jacky Goldberg
Detective Dee de Tsui Hark avec Andy Lau, Carina Lau, Bingbing Li.