Pour Time and Tide qui marque son retour au cinéma dans sa ville de Hong Kong après une désastreuse escapade hollywoodienne, longue rencontre avec le réalisateur Tsui Hark.
Avec Time and Tide, vous revenez à Hong Kong après deux films Américains. Est-ce pour cela que ce film semble se libérer, ouvrir le plus de portes possible
Je n’avais rien fait comme Time and Tide auparavant, c’est vraiment pour moi une recherche pour une nouvelle façon de raconter des histoires. Je ne sais pas jusqu’où on peut aller dans la narration sans risquer de perdre le public. Je suis là pour expérimenter certaines choses, et en tirer les conséquences ensuite, savoir quel degré ne pas dépasser. Time and Tide est à prendre comme un film expérimental qui me permettra pour le suivant de réévaluer à la hausse ou à la baisse, certains aspects.
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Le film se termine sur un accouchement mouvementé. Faut-il y voir une métaphore sur le devenir de Hong Kong, actuellement dans une situation aussi chaotique que votre film…
Ce n’est pas valable que pour Hong Kong, mais pour n’importe quelle situation de crise : il faut trouver des choses auxquelles il faut pouvoir se rattacher, savoir quels éléments vont pouvoir donner un nouveau sens à la vie.
Le film prend pour point de départ une citation de la Genèse revue et corrigée à la fin du film. Est-ce que cela veut dire que chaque cinéaste est un démiurge ?
(Rires suivis d’une longue pause)… Euh. Non ! Lire le texte d’ouverture m a un peu intimidé parce que j’extrapolais sur un commentaire sur Dieu, que je me plaçais en commentateur d’actes divins. Je trouvais amusant de partir d’une citation de la Bible. Le film part de quelqu’un qui veut arranger les choses, de modifier un système pour le mieux. La Création, la Genèse s’applique parfaitement dans ce cas à des êtres de chair et de sang. Ça fait très longtemps que je voulais partir de ce type de citation dans un film. J’aime l’idée d’ouvrir un film en partant du principe qu’au départ il n’y avait rien, partir du début idéal pour une histoire. Qui plus est ça permettait de se rattacher au principe créatif universel : partir d’absolument rien pour construire quelque chose.
Hormis ces citations, le film trouve son climax dans la scène d’accouchement final. En quoi Time and tide est-il pour vous un film de la renaissance, surtout dans la mesure ou nombre de vos films précédent parlaient de l’attachement à des traditions, à une culture ?
Je voulais moins faire passer un message qu’une déclaration avec ce film : après avoir accompli une somme d’actions, il faut se poser des questions sur les raisons pour lesquelles on les a accomplies. Si on doit les répéter, je veux savoir pourquoi , pourquoi aller de l’avant : savoir ce qui est nécessaire dans ces actions. Nous ne sommes que des animaux contraints par l’Histoire. Je ne veux pas me prononcer sur le statut actuel entre la Chine, Taiwan et Hong Kong au moment où leur réunion est incertaine. Aucune leçon ne peut être tirée en se retournant vers le passé. Ce qui est fait est fait. Il vaut mieux se projeter dans le futur, s’interroger à l’avance sur les conséquences que pourront avoir nos actes.
On sait aujourd’hui ce que le cinéma de Hong Kong amène à Hollywood, mais dans le sens inverse en quoi votre parenthèse Hollywoodienne a-t-elle nourri ce film ?
Faire des films dans le système des studios américains, c’est plus adapter votre expérience à de nouveaux codes, à d’autres manières d’approcher de concevoir, de penser les films. Faire face à des gens qui des notions totalement différentes du cinéma. Je voulais savoir si et comment je pouvais travailler, mais aussi résister à ce contexte.
J’ai plus vu cette expérience comme une façon de me voir à l’intérieur d’un système plutôt que de la subir. Mais quand vous rentrez à Hong Kong pour faire un film, quelque chose qui tient de l’instinct se rappelle à vous, le terrain redevient familier. Ça m a permis de savoir où j’en étais, ce qui était réellement important pour moi, ce que j’avais envie de dire, quel regard j’avais effectivement sur les choses. Ça m a surtout donné l’envie de projeter tout ça sur l’écran.
Depuis près de vingt ans, vous êtes connu en tant qu’homme-clé du cinéma de Hong Kong. Vous êtes partout : réalisateur, producteur, patron d’une boîte d’effets spéciaux, d’un studio d’animation’ Quel rapport avez-vous au contrôle, au pouvoir ? Est-ce facile de vivre ce statut ?
Au début des années 80, je travaillais pour des maisons de productions. J’étais en perpétuel conflit avec eux, surtout dans la manière dont ils concevaient les scénarios qu’ils me proposaient et leurs contenus. J’ai donc crée ma propre société pour avoir le dernier mot. Film Workshop porte le même nom que le cours de cinéma que je donnais à l’école de cinéma de Hong Kong. J’avais choisi ce nom (L’atelier du cinéma NDR) par dérision mais aussi en réaction à ces producteurs. Sans me douter qu’elle allait exister si longtemps. En 1982, pour terminer Zu, j’avais besoin de nombreux effets spéciaux qu’on ne savait pas faire à Hong Kong. J’ai réuni des étudiants qui ont appris sur le tas ces techniques. L’année suivante, j’ai travaillé pour une autre production sur un film nécessitant lui aussi des effets spéciaux. Ils m ont demandé de m’en occuper, j’ai alors pensé réunir ces étudiants : tous avaient entre temps de monter chacun sa société, toutes avec des idées radicalement différentes. Impossible de les amener dans une voie commune. J’ai trouvé plus facile de créer ma propre société d’effets spéciaux, avec des gens que je connais, avec qui je puisse m’entendre.
Aujourd’hui, le même schéma se reproduit : à l’heure de l’image de synthèse, je collabore avec une société externe qui me fournit l’assistance humaine et informatique, mais j’ai beaucoup de mal à travailler avec eux. Je pense que je vais intégrer cette technique dans ma société. Je n’ai pas d’appétit particulier pour le pouvoir. Je cherche juste, dans un but pratique, à pouvoir me faciliter les choses dans le domaine de la production afin de pouvoir faire mes films avec le plus de rapidité et d’efficacité, sans avoir à convaincre des gens extérieurs. Pour cela, j’ai besoin de travailler avec des gens dans toutes les phases en rapport avec le cinéma, que j’apprécie, en qui je puisse avoir confiance. Ma réputation et mon statut impliquent forcément une notion de pouvoir pour l’extérieur. Ce qui m inquiète un peu mais j’essaie de travailler indépendamment du contexte extérieur à Hong kong, des considérations politiques ou de certaines pressions auxquelles je préfère ne pas penser.
Il y a un domaine qui semble vous résister, mais sur lequel vous travaillez activement : le cinéma d’animation ?
Quand j’avais cinq ans, Blanche-Neige est ressorti à Hong Kong. Je ne savais alors pas ce qu’était un film, je voyais plus ça comme une BD. Quand j’ai su que c’était un film, j’ai voulu aller le voir. Ma mère n’a pas tout de suite voulu : parce que Blanche-neige y avait un certain décolleté, et qu’il y avait des scènes de baisers. Elle m a dit que ce n’était pas un film pour les enfants.
Ça m a d’autant plus frustré qu’à l’école tous mes copains en parlaient. J’ai fini par le voir et ça a scellé mon attachement au cinéma d’animation que je perçois comme un portrait le plus heureux possible de notre société. Tout y est beau et joyeux, loin de la réalité.
Paradoxalement, c’est au moment où l’industrie du cinéma occidentale s’approprie les codes du cinéma de Hong Kong, cette industrie semble être dans une période trouble, se chercher. Quel est votre regard sur ce phénomène ?
Ce n’est pas la première crise que connaît le cinéma de Hong Kong. Il arrive exactement la même chose qu’au début des années 80 et 90 où lorsqu’un film avait du succès, il engendrait d’innombrables clones reprenant les mêmes recettes, jusqu’à des situations absurdes, comme lorsque le film d’action est devenu si populaire qu’il s’infiltrait dans tous les autres genres, ayant pour conséquence que chaque metteur en scène, chaque comédien se devait d’être avant tout de donner dans l’action, qu’ils sachent la maîtriser ou pas. L’ironie du sort fait qu’au moment où nous tentons d’éviter de reproduire ces clichés, le reste du cinéma est en train de le remettre au goût du jour chez eux, où dès qu’on croise un personnage chinois il doit forcément être capable de voler dans les airs ou d’être un as des arts martiaux. Ceci dit l’industrie Hong Kong pâtit actuellement d’une autre difficulté : le seul genre réellement populaire là-bas en ce moment est la comédie, dans une forme très typique qui est quasiment inexportable. Ce qui amène une certaine contradiction pour les cinéastes locaux : S’ils veulent faire des films d’action, ils rentrent désormais en compétition avec les films hollywoodiens qui se mettent à adopter nos codes, mais avec des budgets beaucoup plus conséquents. Il faut donc faire le choix entre réaliser des films uniquement pour le marché local ou pour l’international. Mais s’ils veulent que leurs films s’exportent, il va falloir trouver une voie intermédiaire qui les sortirait d’une compétition directe avec Hollywood.
C’est la première fois qu’un de vos films va être aussi largement distribué en France. À l’heure où la notion d’international devient cruciale pour le cinéma de Hong Kong, le véritable challenge n’est-il pas pourtant que vos films soient enfin distribués en Chine Populaire ?
Ça ne touche pas que des raisons commerciales. La politique de la Chine envers le cinéma est totalement différente des autres. Si un jour, ils permettent aux cinéastes d’être totalement libre de s’exprimer sur un écran. la Chine sera un monde parfait. Mais c’est comme attendre quelque chose dont on ne saura jamais si c’est possible, autrement dit entretenir certaines illusions.
Time and Tide est produit par la Columbia Asie, était-ce une manière de garder un pied dans le système hollywoodien ?
Le fait que le film ait été monté au sein de Columbia Asie n’implique pas forcément une connexion avec Hollywood. C’est une branche locale de ce studio. C’est une organisation et une manière de travailler totalement différente. Je suis récemment entré en contact avec la maison-mère, qui ne semblait pas vraiment être au courant de comment Time and tide avait été conçu. Les services de cette société (production, acquisition, investissement) sont parfaitement distincts. Il doit y avoir une personne centrale qui supervise tout ça, mais j’ai parlé à plusieurs personnes qui ne semblaient pas avoir de liens directs entre eux. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai parlé avec quatre personnes de Columbia Asie, toutes de services différents. (rires)
Les films de Hong Kong sont réputés pour la pauvreté technique accordée au son. Or Time and Tide bénéficie d’un exceptionnel travail à ce niveau. Etait-ce pour l’intégrer en tant qu’élément narratif à part entière où justement pour se mettre à niveau des nouveaux standards internationaux, où le son est devenu une donnée commerciale extrêmement importante ?
Effectivement, j’ai tenu à travailler le son, mais pour cela j’ai du avoir les moyens pour le faire. Ce qui n’est généralement pas le cas à Hong Kong : avoir un meilleur son égale passer plus de temps, de prises, de préparations, donc des conditions de tournage un peu plus confortables, donc plus coûteuses. L’autre aspect qui est une réelle nouveauté pour un film de Hong Kong est d’avoir pu bénéficier d’un très bon laboratoire pour les transferts. On considère ça comme normal en Occident, mais là-bas, c’est souvent le laboratoire qui va décider au final de la qualité de la copie et du son des films. Le cinéma c’est de l’image et du son. C’est la combinaison des deux qui a un impact psychologique. Le son est capable d’avoir sa propre logique narrative, de donner des indices supplémentaires sur le récit sans être totalement explicite, mais que le spectateur va compléter mentalement. Aujourd’hui le son donne une texture au film. Je pense même qu’il est plus important que la musique, qui est devenue aujourd’hui un produit dérivé, un artefact galvaudé qui néglige sa notion d’information par rapport à ce que l’on voit en se contentant de mettre à plat un sentiment déjà exprimé par l’image. Le son est le réel élément moderne du cinéma aujourd’hui. Ceci dit, il serait dangereux de préférer le son ou l’image, il faut travailler avec les deux. Un monteur qui ne travaille que sur les images finit forcément par être limité par l’espace dont à besoin le film. L’adjonction du son permet d’agrandir cet espace, de jouer avec un univers plus complet.
Dans ce contexte technique, comment avez- vous construit le scénario de Time and Tide ?
Ce n’est pas venu en une fois, il n’y a pas eu de déclic ni d’événement qui ait amené un point de départ. Plusieurs idées ont germés autour d’un point commun : la réunion des personnages tous d’origine sociale et raciale différentes influençant leur style de vie, leur rapport à la société et qui les mettaient en conflit face à des évènements communs. Ce sont ces interactions qui ont mené à la structure éclatée du film. Mais je tiens à préciser que ce processus, s’il m a permis d’élaborer une certaine structure de récit, n’est pas une formule que j’utiliserai forcément à l’avenir dans mes prochains films.
Comment faut-t-il traduire Time and Tide ?
C’est le titre d’une chanson de Hong Kong qui parle de la manière dont les gens vivent après être passé d’une vie glorieuse à l’oubli. Elle évoque les contrastes entre une vie heureuse et une autre moins heureuse. Ça me semblait être en phase avec ce que je voulais dire dans le film.
Votre cinéma utilise une part importante de féminité. Les femmes étant souvent le détonateur où les narratrices de vos films face à des acteurs faisant plus appel à un charisme physique
J’aimerais bien inverser cela mais étant un homme avec un point de vue masculin, je ne peux la plupart du temps traiter que des histoires d’hommes. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je crois que c’est pour aller contre cet état de fait que je fais souvent raconter mes films par un personnage féminin. Peut-être parce que cela me permet de pouvoir élargir le sens de mes films : traiter une histoire par le point de vue d’un homme a quelque chose pour moi de trop frontal, trop direct. Le faire par le sexe opposé ouvre bien plus de pistes. C’est vraiment sur The Blade que je me suis rendu compte qu’il était bien plus intéressant de faire passer ce récit par la voix d’une femme, sinon cette histoire aurait été bien plus contrainte par le carcan du film d’action.
John Woo, Kirk Wong, Chow Yun-Fat, Jackie Chan ou Jet Li sont désormais installés à Hollywood, certains comme Ringo Lam font des allers-retours ; vous êtes un des rares protagonistes du cinéma de Hong Kong, à en être revenu. Etait-il clair pour vous que dès le départ ce ne serait qu’une parenthèse ?
Je continue à pense que l’Asie est un véritable trésor, à la culture inépuisable, alors que l’Amérique et Hollywood en particulier, vit sur une culture particulièrement restreinte. En tant que cinéaste, je trouve instructif de faire des films dans le monde entier, mais rester en Asie a quelque chose d’une perpétuelle exploration. Même si je passe le reste de ma vie là-bas à faire des films sur la culture asiatique et ses ramifications, sur mes racines, mon identité, cette uvre ne sera jamais complète parce que je ne viendrai jamais à bout de ces richesses. Ce qui ne m’empêche pas de vouloir garder un regard sur le monde extérieur, d’autant plus facile à une époque où les moyens de communication sont omniprésents. Si on me propose un projet étranger qui m intéresse, j’irai le tourner. Un studio américain vient de me proposer de m occuper d’un thriller qui se passe au sein du FBI. Ça m intéresse ne serait-ce que pour connaître mieux cette espèce d’institution, savoir comment elle a pu être mise en place au sein de la société américaine. Même si ça n’aura sans doute aucune influence sur le film au final. Qui plus est ça me paraît très amusant d’aller chercher un réalisateur asiatique pour traiter du FBI. Pourquoi pas ?
En contrepoint, on connaît l’influence du cinéma américain sur le reste des cinématographies mondiales. Hollywood est en phase de mutation suite aux attentats du 11 septembre, pensez-vous que ces changements modifieront le cinéma d’action asiatique ?
Définitivement oui. Quels types de changements cela amènera-t-il ? Je n’en sais rien. Il est trop tôt pour le savoir ; on spécule énormément sur la manière dont Hollywood va réagir à ces évènements, on suppose que les films à venir vont éviter de parler de destruction parce que les studios estiment que le public a envie de voir des histoires pleines d’harmonie, de passion, de familles, de sentiments. Mais ce n’est que de la théorie. Il va falloir y aller à tâtons : ce sont les spectateurs qui auront le dernier mot, par leur verdict quand les films en préparation seront sur les écrans. Il est clair en tout cas que le 11 septembre va modifier tout un pan du cinéma populaire : difficile de faire désormais des films de SF où New York sera détruit parce qu’on sait désormais que c’est tout à fait possible dans la réalité.
Le cinéma de Hong Kong a toujours entretenu un rapport quasi-physique avec cette ville. En tant qu’homme ouvert aux cultures extérieures, quels sont rapports avec elle ?
C’est une ville qui est si petite qu’elle est perpétuellement sur le point d’imploser. Quand on tente de se lier à Hong Kong, ce n’est pas à la ville qu’on s’attache mais à l’énergie qui en émane, celle que diffuse les gens pour y survivre. En fait ce sont ses habitants, dans cette force, dans cette rage, qui font vibrer Hong Kong, pas la ville en elle-même.
Une énigme subsiste pour les cinéphiles occidentaux : comment Van Damme a-t-il pu séduire autant de grands réalisateurs de Hong Kong ?
(long silence un peu gêné)? Well, peut-être parce que c’est un garçon très vivant, très chaleureux dans la vie ! (éclat de rire)
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