Le début est très beau, presque trop, avec ce couple qui s’embrasse et se caresse dans une voiture, approché par une caméra portée et peut-être prédatrice. Puis Paris, la Seine, les quais, le couchant. Et la chanson des Tindersticks pour parer l’ensemble : clip de rêve, images à tomber. Avant même le début de son […]
Le début est très beau, presque trop, avec ce couple qui s’embrasse et se caresse dans une voiture, approché par une caméra portée et peut-être prédatrice. Puis Paris, la Seine, les quais, le couchant. Et la chanson des Tindersticks pour parer l’ensemble : clip de rêve, images à tomber. Avant même le début de son générique, Trouble every day se choisit une voie étroite : le film va devoir nourrir cette beauté qu’il semble distiller si facilement, et se repaître d’autre chose que lui-même pour s’épanouir. Nous sommes en plein dans le sujet. Trouble every day est un film dit « de genre », un film de vampires, pire, un film de cannibales, comme J’ai pas sommeil était un film de tueurs et Beau travail un film de soldats. Si le film est fait de frôlements furtifs et de chocs sourds, il n’est jamais plus troublant que quand il s’attache aux prémisses d’un nourrissement sanglant. Du grondement de l’avion qui mène les jeunes mariés américains (Vincent Gallo et Tricia Vessey) vers Paris au banal pavillon de banlieue qui abrite la goule et son protecteur (Béatrice Dalle et Alex Descas), le moindre élément concourt à instaurer un climat malaisant, une très inquiétante étrangeté. Ce malaise ne naît d’abord que du regard que porte la cinéaste sur un bout de terrain vague, un couloir d’hôtel, une ville américaine vue d’avion. Et quand Coré/Dalle se déchaîne sur sa proie dans une étreinte barbare, avant d’adopter une attitude de lionne assouvie, le spectateur est moins saisi d’effroi que soudain plongé dans la moiteur d’un monde malade, où toute chose n’est plus considérée que dans une optique obsessive, sans réel espoir de guérison. A partir de ce postulat, qui doit autant au roman gothique et au conte de (mauvaises) fées qu’aux films de Jacques Tourneur, Denis a l’audace tranquille de celle qui se permet d’égrener tous les possibles sans perdre de vue son sujet. C’est en se promenant dans les arcanes du genre, en ne faisant pas l’économie de ses innombrables ressources et métamorphoses, de Franju à Ferrara (The Addiction), qu’elle évite toute lourdeur référentielle. Il n’échappera à personne que Trouble every day est une exploration des méandres de l’état amoureux. Loin d’être un exercice de style sans enjeux ni conséquences, le film assume son titre en montrant le couple comme une folie partagée. Et si le rapprochement entre la violence de la pulsion de mort et la brutalité du coït n’est pas d’une nouveauté inouïe, le film leste cette évidence de suffisamment de durée sanglante pour que le cliché cède devant le courage de comédiens têtes brûlées qui parviennent à le transfigurer en s’immolant. C’est en usant et abusant du montage alterné, et en conférant de l’importance à tout un chacun, que le film réussit le prodige de s’ouvrir toujours davantage tout en ne perdant pas de vue la question qui taraude Denis depuis longtemps. A qui appartient-on ? A quoi ? A quelle sphère indéchiffrable pour les non-initiés ? De qui sommes-nous les jumeaux insécables ? Quelle puissance tellurique nous constitue sans que nous le sachions ? Trouble every day épouse la logique du cauchemar pour déceler un autre ordre, masqué et souterrain, infiniment plus secret et dangereux que les codes en vigueur, communément admis, qu’ils soient médicaux, amoureux, professionnels ou simplement sociaux.
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