Denis Podalydès, tout à la fois double de Philip Roth et du cinéaste roubaisien, marivaude à Londres et esquive sa peur de la mort.
Dans la filmographie d’Arnaud Desplechin, Tromperie se présente comme “modeste”. Sans les ambitions affichées de Rois et Reine (2004) ou Les Fantômes d’Ismaël (2017), le film, écrit pendant le confinement, a été tourné avec des moyens réduits.
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C’est pourtant, ou peut-être à cause de ce statut “low profile”, sans doute l’un des plus bouleversants du cinéaste français. D’abord parce qu’il s’empare, enfin, du roman reconnu comme autobiographie d’un auteur dont il a toujours parlé comme l’une de ses influences majeures, Philip Roth.
Comme dans le livre éponyme (paru en 1990, et traduit chez nous quatre ans plus tard), le film se déroule en 1987. Un écrivain américain et juif célèbre, quinquagénaire, répondant au prénom de Philip (Denis Podalydès), s’est installé à Londres avec son épouse (l’admirable Anouk Grinberg) dans le but d’écrire un livre.
Sa maîtresse (Léa Seydoux) vient régulièrement le retrouver dans un appartement dont il a fait son bureau et son baisodrome. Il et elle y font l’amour, s’y disputent, badinent. Philip (à la fois macho, paranoïaque, égoïste) a établi une théorie dont il use pour se justifier de ses relations féminines, surtout auprès de son épouse, qui n’en croit pas un mot : chacun de ses livres est attaché à une femme qu’il a connue, aimée et surtout écoutée, car il serait “audiophile”.
Évidemment, tout cela “n’est qu’un jeu”, ajoute-t-il. Mais qu’est-ce qui n’est pas un jeu chez un écrivain comme Philip ? Et puis, au pays de Marivaux et de Musset, tout le monde sait que l’amour aussi est un jeu, parfois dangereux.
Le vampirisme des créateurs
Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’un des sujets du film, sans être clamé, est l’appréhension de l’âge, de la maladie et de la mort (magnifique scène entre Podalydès et l’une de ses anciennes maîtresses touchée par un cancer, jouée par Emmanuelle Devos). Le sexe, oui, cette petite mort, permet à Philip d’oublier la grande qui vient.
Il y a un autre sujet, évident lui aussi : le vampirisme des créateurs. Ce en quoi Desplechin, plus Dédalus (le nom de son double de cinéma, emprunté à James Joyce) que jamais, peint évidemment une manière d’autoportrait. La réussite sublime qu’est Tromperie doit beaucoup à l’interprétation exceptionnelle de tous·tes les acteurs et actrices et à la façon dont Desplechin les met en scène : Podalydès – qu’on n’avait plus vu dans un de ses films depuis Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), en 1996 – n’a jamais été aussi sexy et séduisant sur un écran.
Mais il faut surtout insister sur l’interprétation de Léa Seydoux, à l’affiche de quatre films cette année à Cannes, dont Tromperie (dans la nouvelle section baptisée Cannes première). Ici, comme dans France de Bruno Dumont, elle est remarquable, et dévoile une palette de jeu très étendue, qui devrait enfin convaincre de son grand talent ses plus opiniâtres contempteurs et contemptrices : elle est une actrice sur laquelle le meilleur du cinéma mondial peut compter.
Tromperie d’Arnaud Desplechin, avec Denis Podalydès, Léa Seydoux, Emmanuelle Devos (Fr., 2021, 1 h 45). En salle le 29 décembre.
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