Très bonne pêche avec Trois Huit, film social où Marc Barbé compose un inquiétant ouvrier qui harcèle l’un de ses collègues. Ça commence exactement comme tous les films sociaux à la mode aujourd’hui : la vie des prolos de province comme si vous y étiez, fantasmée par des cinéastes appartenant en général à la bourgeoisie […]
Très bonne pêche avec Trois Huit, film social où Marc Barbé compose un inquiétant ouvrier qui harcèle l’un de ses collègues.
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Ça commence exactement comme tous les films sociaux à la mode aujourd’hui : la vie des prolos de province comme si vous y étiez, fantasmée par des cinéastes appartenant en général à la bourgeoisie parisienne aisée. Après s’être successivement essayé au libertinage XVIIIe siècle (Les Deux Fragonard) et à la comédie grinçante d’obédience rohmérienne (L’Année Juliette), Philippe Le Guay aurait-il choisi ce créneau par opportunisme ? Oui et non. Car s’il dépeint avec une grande précision le monde du travail et le lieu où se déroule ce drame une usine de bouteilles où Pierre (Gérald Laroche), simple OS, commence à faire les trois-huit dans l’équipe de nuit , l’histoire prend vite un tour irrationnel auquel on ne s’attend pas dans un tel contexte, habituellement utilisé au cinéma pour parler du chômage et autres injustices sociales. Ici, il s’agit d’un conflit individuel entre deux ouvriers. Point. Ce qu’on prend au départ comme un simple bizutage le fantasque et brutal Fred (Marc Barbé) humilie publiquement Pierre tourne au harcèlement, voire au sadomasochisme. On entre dans une spirale paranoïaque qui n’est pas sans rappeler celle du film de Scorsese Les Nerfs à vif, à la différence près que le cinéaste américain s’aventurait très lourdement du côté du grotesque grand-guignol. Ce n’est pas le cas de Philippe Le Guay, qui dose ses effets et évite de conduire son récit au paroxysme systématique auquel ce genre de situation semble devoir mener systématiquement. Fred a des côtés monstrueux, mais il reste humain, faible. A des scènes de violence verbale ou physique succèdent des plages de répit. Le Guay est très malin, car en bon disciple hitchcockien, il suggère souvent le pire sans s’y risquer complètement. Par exemple quand Victor, le fils adolescent de Pierre, tente de venger son père. Le cinéaste joue avec les clichés horrifiques en les déjouant sans cesse par des solutions réalistes Fred devient pote avec Victor au lieu de le martyriser à son tour. Bien sûr, c’est le genre de film qui tient essentiellement par son scénario, méticuleusement construit, dosé au millimètre. Mais en même temps, sans la présence formidable de Marc Barbé, qui prolonge ici sur un mode plus concret et quotidien son personnage sauvage de Sombre, le film n’aurait peut-être pas cette force ; c’est à se demander pourquoi on voit si peu cet acteur au cinéma. Cela dit, le choix du comédien revient avant tout au cinéaste. De plus, dans un autre domaine, la dimension plastique et sonore du film, en particulier le décor vivant, rougeoyant, bruyant de l’usine de bouteilles, forge dantesque où le verre en fusion coule à flots, montre que loin d’illustrer platement son scénario, Le Guay sait mettre en adéquation sujet et mise en scène.
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