À la tête d’une trop brève filmographie, Michael Roemer fait partie de la liste des cinéastes qui auraient dû jouer un rôle bien plus crucial que ce ne fut le cas. Aujourd’hui, alors que trois de ses films ressuscitent enfin, on prend la mesure de leur importance dans l’histoire du cinéma indépendant américain.
Issu d’une famille juive allemande, exilée en Angleterre puis aux États-Unis pendant le nazisme, Michael Roemer, diplômé de Harvard, est impliqué dans le cinéma indépendant dès le début des années 1960.
En 1964, il réalise Nothing But a Man, un film crucial pour la représentation des Afro-Américains à l’écran. Sur une trame simple en apparence mais finalement assez complexe, Roemer met en scène une communauté divisée entre un ouvrier, Duff, poussé à la révolte, sans pour autant être un militant, et son beau-père, pasteur rigide, plus enclin à une “collaboration” avec les blancs. Entre eux, Josie, la fille du pasteur, magnifiquement interprétée par la chanteuse Abbey Lincoln, est clivée entre ces deux attitudes.
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L’action se passe en Alabama – autant dire un état du Sud où le racisme est, en ce début des sixties, la norme. Rien de schématique pourtant dans Nothing But a Man qui est tout sauf un film à thèse. Il se dégage du premier long métrage de Michael Roemer, photographié dans un noir et blanc rugueux superbement restauré, une âpreté, une vérité, une attention à la complexité des sentiments, et, finalement, une puissance rare. La bande son, essentiellement constituée par des chansons de la Motown, achève de faire de Nothing But a Man un film majeur et précurseur dont la redécouverte est une véritable révélation.
Trilogie américaine
À la fin de la décennie, Michael Roemer réalise Harry Plotnick seul contre tous (The Plot against Harry), qui sera distribué commercialement seulement vingt ans plus tard, en 1989. Jewish comedy grinçante et très new-yorkaise, qui anticipe, à sa manière, Woody Allen et certains films des frères Coen, le deuxième long métrage de Michael Roemer montre, là aussi, à travers les aventures rocambolesques et stylisées d’un escroc en mal de rédemption, une communauté fracturée de l’intérieur.
En 1984, Roemer tourne Vengeance is Mine, un dernier long métrage qui semblait, jusqu’à ces dernières années, perdu. Changement de décor, puisque l’action du film se déroule à Dover, une petite ville de bord de mer dans le New Hampshire. Ici, c’est la famille que le cinéaste ausculte à travers un drame qui pourrait tourner au film d’horreur. L’héroïne, Jo (là encore, superbement campée par Brooke Adams), enfant adoptée, revient sur les lieux de son enfance malheureuse.
Mais alors que l’on pense assister à un règlement de comptes entre Jo et sa mère adoptive, le film bifurque sur un autre noyau familial formé par un couple en pleine séparation et leur fille adolescente. Roemer filme alors, avec une grande subtilité, une implosion et une redistribution des rôles à l’intérieur d’un quatuor traversé par de multiples mouvements intérieurs.
Le ton du film, par moments presque bergmanien, n’a rien d’hystérique. Bien au contraire, la douceur apparente de la mise en scène révèle d’autant plus les lignes de fracture qui traversent les personnages. Vengeance is Mine, superbement écrit, clôt, en beauté, cette drôle de trilogie qu’il faut absolument découvrir.
Michael Roemer, American Trilogy, en salles le 15 mars.
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