La comédie américaine se porte, encore, très bien – malheureusement, ce n’est pas forcément le meilleur qui arrive chez nous. Trois pépites de 2013 à ne pas rater.
On peut avoir l’impression que la comédie américaine a largement voix au chapitre dans la distribution française. Ce n’est pourtant pas tout à fait vrai : si les acteurs du Brat Pack (Ben Stiller, Will Ferrell, Owen Wilson, etc.) et leurs héritiers de l’écurie Apatow (Seth Rogen, Jonah Hill, etc.) ont largement réussi à devenir des stars internationales, on ne peut pas en dire autant des dernières générations issues du Saturday Night Live, ni de ceux des circuits indé. Trop chères pour les petits distributeurs, pas toujours synonymes de succès en salles, reposant parfois sur des vedettes nationales inconnues à l’étranger, les « petites comédies » américaines accusent une certaine déconnexion avec le marché français.
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Voici donc trois films sortis en 2013, pas ou très peu montrés chez nous (le premier vient de trouver une diffusion VOD inespérée ; les deux autres se trouvent assez facilement, on vous laisse vous débrouiller), et pourtant excellents.
Et parce qu’on connaît les ficelles de la distribution de comédies US en terre frenchie, on a même un peu mâché le boulot à d’éventuels acheteurs, en leur suggérant des titres d’exploitation française plus adaptés à leurs habitudes.
• « Drinking Buddies », Joe Swanberg
NB : Drinking Buddies fait exception, puisqu’il sortira en VOD en France la semaine prochaine (22 janvier) sous le titre Ivresse entre amis, grâce à Sony Pictures Home Entertainment France. C’est la première fois qu’un film de Joe Swanberg est montré chez nous.
Joe Swanberg est, avec Andrew Bujalski et les frères Duplass, un des fondateurs de la mouvance mumblecore, c’est-à-dire un sous-ensemble du cinéma indie formé par les films oisifs et désœuvrés des post-étudiants américains, rassemblés sous la bannière du festival South by Southwest d’Austin. On lui doit notamment la révélation Greta Gerwig (Frances Ha), avec qui il a coréalisé le très beau Nights and Weekends. C’est un réalisateur très prolifique, récemment passé à des productions un poil plus professionnelles que ce à quoi il nous avait jusque là habitués. Drinking Buddies suit un morceau de la vie de Kate (Olivia Wilde, très étonnante), commerciale pour une fabrique de bière artisanale où travaille également son meilleur ami Luke (l’impeccable Jake Johnson de New Girl). Un carré amoureux se forme à la faveur d’un weekend à la campagne en compagnie de leurs amants respectifs, parmi lesquels l’adorable visage de moineau d’Anna Kendrick.
Drinking Buddies tient plus de la romcom que de la pure comédie : c’est moins le rire qui y importe que l’élégance très pudique du chassé-croisé amoureux. Le récit un rien frustrant de Joe Swanberg se tient volontairement sur la brèche d’un flirt qui, spoiler alert, n’advient jamais : ses deux personnages principaux sont presque un peu trop adultes pour sombrer totalement dans la bluette toute tracée pour eux. Les amateurs de comédie romantique orgiaque où tout le monde sort avec tout le monde, façon Love Actually, peuvent passer leur chemin. Chez Joe Swanberg, il n’y a rien de plus parfumé, de plus pétillant, de plus exaltant que le possible.
Titre français suggéré : Bière Academy (vrai titre français pour la VOD: Ivresse entre amis)
• « The To Do List », Maggie Carey
Parks & Recreation n’est toujours pas montrée en France, et pourtant elle est en train de s’imposer comme la forme canonique de la série comique américaine, dans le sillage du format docu-fiction inventé par The Office (qui partage les mêmes créateurs). Pour preuve : son casting se répand tous azimuts, dans les shows TV, les séries voisines, et bien sûr au cinéma. Aubrey Plaza, version lunaire et sauvage de Sarah Silverman (qu’elle imite d’ailleurs à la perfection), est la première concernée. Après quelques seconds rôles remarquables (la dépressive Debbie de Damsels in Distress, et la girlfriend indomptable Daisy de Funny People), 2013 a été l’année de ses premiers rôles principaux : d’abord dans l’oubliable Safety Not Guaranteed, puis The To Do List.
Teen movie déplacé au début des années 1990, The To Do List démarre lorsque Brandy, madame je-sais-tout frigide et très sûre d’elle, prend soudain conscience que les trois mois qui la séparent de son entrée à la fac sont tout ce qui lui reste pour faire son éducation sexuelle. Elle décide donc de monter une « to do list » afin de faire en accéléré toutes les expériences charnelles qui manquent à son tableau de chasse, désespérément vide : dry hump, tea bagging, motorboating, sont autant de subtilités d’argot américain à découvrir dans la suite.
Outre une actrice irrésistible, à qui sa moue autiste confère une délicieuse sauvagerie, The To Do List est surtout un génial teen movie décharné de toute émotion. Brandy révise sa sexualité comme elle réviserait son cours d’histoire-géo : sans affect, jamais craintive, dans un pur souci de rendement. Même le twist attendu (« derrière le sexe, il y a l’amour ») sonne comme la résolution d’un problème mathématique. Pourtant, le décalage temporel rappelle volontiers quelques souvenirs de John Hughes (Breakfast Club), et fait de The To Do List une touchante comédie à l’esthétique étrangement plastifiée.
Titre français suggéré : La Sex List
• « A.C.O.D. », Stuart Zicherman
Autre révélation de Parks & Recreation, Adam Scott est peut-être l’acteur le plus drôle, du moins le plus burlesque de cette génération. Son air de souris ahurie, ses fébriles et brutaux changements d’expression, sa détermination toujours gauche, suffisent à rendre hilarant un simple plan sur son visage. Affublez-le de lunettes de soleil, c’est encore pire.
Dans A.C.O.D. (initiales de « Adults Children Of Divorce »), Adam Scott incarne Carter, un gérant de restau dont la foi en l’institution du mariage est un peu abîmée par la haine absolue entretenue par ses parents depuis sa naissance – divorcés, plusieurs fois remariés, irréconciliables. Le jour où son frère s’avise d’épouser sa dernière petite amie, Carter doit tenter de les réconcilier pour qu’ils puissent tous deux assister au mariage, mais les rabiboche involontairement. Pendant ce temps, sa petite amie à lui attend toujours qu’il lui demande sa main.
L’idée d’un personnage pour qui l’existence subite et imprévue de l’amour bouscule tous les repères (la scène où Adam Scott surprend ses parents en plein coït est une merveille) fait d’A.C.O.D. une comédie merveilleusement cynique. C’est un peu l’Inception du vaudeville : les degrés de l’adultère n’en finissent plus de se démultiplier et de se superposer, des beaux-pères aux petites amies, de la famille aux collègues. Adam Scott, inégalable, fait de chaque scène un numéro exquis de fébrilité craintive. Pour couronner le tout, son ancienne thérapeute, se révélant simple auteure de best-sellers sociologiques, vient reprendre contact avec tous les anciens enfants de divorce de son livre, pour écrire l’épisode « adulte », qui donne son titre au film. Idée géniale : les gamins devenus quadras s’amusent à se démasquer les uns les autres (puisque les prénoms ont été changés) en essayant de reconnaître les névroses décrites dans le livre – bien sûr, tout le monde nie être « Rick », le petit garçon bourré de complexes, et bien sûr, « Rick », c’est Carter/Adam Scott. Surtout, ce revers fait basculer A.C.O.D. dans l’univers dédaléen de la comédie de psychanalyse – on pense presque à Desplechin.
Titre français suggéré : Very Bad Divorce
http://www.youtube.com/watch?v=axFqZUkO5tw
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