La parution du scénario d’un projet abandonné par François Truffaut : tout le plaisir d’imaginer ce que le cinéaste pouvait insuffler dans ses films à partir d’un texte préparatoire.
Les excellentes éditions Capricci ont la bonne idée de publier l’un des projets abandonnés en cours de route par François Truffaut, et qui fut écrit en 1971. On reconnaît dans ce scénario – une histoire d’inceste entre un frère et une soeur qui s’inspire d’une affaire réelle – ce qui fait la patte de Jean Gruault, l’un des principaux scénaristes de Truffaut (avec Jean-Louis Richard ou Suzanne Schiffman).
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Jean Gruault a eu plusieurs vies : depuis son apparition sur Terre en 1924, il a été successivement séminariste, acteur, cinéphile membre de la bande des futurs Cahiers (Chabrol, Godard, etc.), communiste, scénariste de Roberto Rossellini (qui l’a formé à l’écriture de film), de Jacques Rivette, de Truffaut (cinq films) et d’Alain Resnais. Aujourd’hui, à 80 ans passés, il s’est lancé avec un enthousiasme juvénile et une énergie folle dans une nouvelle aventure, fondant une petite maison de production pour aider une jeune réalisatrice inconnue, Emmanuelle Demoris, à réaliser et sortir un projet au long cours, Mafrouza (un documentaire de plus de dix heures et en cinq parties sur un quartier d’Alexandrie), célébré dans les festivals du monde entier, et qui sortira en juin.
Il y a trois éléments (et donc trois bonnes raisons de le lire) à retenir du travail accompli avec Histoire de Julien et Marguerite par Jean Gruault – qui a toujours considéré son travail de scénariste comme étant celui d’un technicien du cinéma.
1. Le plaisir de la lecture, de l’histoire :
Tout simplement (on ne peut pas dire cela de tous les scénarios), sans doute parce que les scènes ne sont pas entièrement dialoguées. Gruault accomplit une synthèse admirable entre le travail documentaire (les us et coutumes de l’époque – le côté rossellinien) et diverses influences littéraires dont il s’explique dans une préface concise (l’historien du XVIe siècle Philippe Erlanger, une nouvelle de Barbey d’Aurevilly, les dialogues du dramaturge anglais John Ford et les Chroniques italiennes de Stendhal).
2. Le plaisir de l’imagination :
Tout fan de Truffaut reconnaît immédiatement ce qui est déjà truffaldien dans le scénario de Gruault… et ce qui ne l’est pas encore. L’alchimie entre le scénariste et le cinéaste n’est pas totale, et c’est tant mieux, car elle laisse une marge de création suffisante au cinéaste pour y glisser son cinéma, sa façon de raconter le monde. On sait par exemple, pour avoir vu ses films en costumes, avares en effets d’époque, que Truffaut abandonnera bon nombre des détails décoratifs apportés par Gruault, mais qu’ils nourriront sa mise en scène.
3. Le plaisir de l’anticipation :
Truffaut abandonna finalement le projet parce que l’inceste lui semblait, au début de ces années 70, un sujet trop à la mode. Il n’empêche qu’avec la distance, on voit bien en quoi ce thème laissera des traces dans certains de ses films à venir : Les Deux Anglaises et le Continent (deux soeurs qui tombent amoureuses du même homme), L’homme qui aimait les femmes (mais qui détestait sa mère impudique), ou L’Histoire d’Adèle H. (la fille qui devient folle à fuir son père). En cela, il partage les préoccupations d’un autre grand cinéaste de l’inceste, son contemporain Jacques Demy. Mais c’est une autre histoire.
Jean-Baptiste Morain
Histoire de Julien et Marguerite – Scénario pour un film de François Truffaut de Jean Gruault (Capricci), 215 pages, 14,50€.
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