Pour son deuxième film (en treize ans !), Emmanuelle Cuau plonge son héros dans un engrenage surréaliste à la fois drôle et glaçant.
Beau titre ironique… “Très bien, merci”, c’est la réponse un peu automatique que l’on fait habituellement à la non moins automatique question “Comment ça va ?” Pas qu’on soit totalement contre ces codes qui huilent les rouages des relations sociales, on en use comme tout le monde, et si on disait tout le temps à tout le monde comment ça va vraiment à l’intérieur, le jeu social serait peut-être moins hypocrite, mais aussi moins vivable. N’empêche que de temps en temps, il faut bien dire aussi la vérité, que non, au fond, ça va pas très bien, merci. Un film peut être un biais parfait pour dire le malaise, le mal-être contemporain, et c’est le moyen choisi par Emmanuelle Cuau, une cinéaste qui, à l’instar de Pascale Ferran, n’avait plus tourné de long métrage de cinéma depuis 1994 et son beau premier film, Circuit Carole. Et comme avec Pascale Ferran, on est heureux de revoir un film d’une cinéaste talentueuse, et encore plus parce que c’est un très beau film, qui fait passer des thèmes inquiétants, angoissants, sans aucune pesanteur, avec un sens parfaitement dosé de l’humour et de l’absurde. Alex est comptable, et sa compagne Béatrice chauffeuse de taxi. Un couple sans histoires, jusqu’au jour où Alex est témoin d’un contrôle policier. Au lieu de circuler parce qu’il n’y aurait rien à voir, il décide de rester planté là et de regarder. Les flics s’énervent, mais Alex ne fait rien de répréhensible, il use simplement de son droit à rester debout immobile dans l’espace public qu’est la rue. Sa simple présence devient scandaleuse. Un badaud, ça doit passer son chemin, et quitte à rester immobile, au moins ne pas fixer son attention sur la police en train d’accomplir une de ses tâches. Cette tâche-là n’est pas la plus glorieuse du métier de policier, et sans doute ceux-ci en sont-ils conscients, et c’est peut-être ce qui leur rend si gênant le simple être-là d’un passant. Toujours est-il qu’Alex se fait embarquer au poste, puis se laisse happer dans un engrenage qui le conduit à perdre son emploi et à séjourner en hôpital psychiatrique. Ce qui est remarquable dans le trajet kafkaïen d’Alex, c’est que personne en particulier n’en est coupable. Il n’est pas victime d’un pouvoir totalitaire, mais simplement d’un enchaînement de circonstances et de situations : flics, fonctionnaires, médecins…, chacun fait son travail à sa place. Alex est pris dans une situation surréaliste, fantastique, mais ancrée dans le quotidien le plus banal. Son itinéraire ne dévie jamais vers l’onirisme comme dans les films de Pascal Bonitzer ou dans certains Rivette. On est toujours dans un environnement réaliste, celui du Paris contemporain – dont les habitants défilent à l’arrière du taxi de Béatrice –, et c’est justement ce qui rend l’aventure d’Alex si inquiétante, et aussi un peu comique. Très bien, merci joue finement avec quelques angoisses majeures, que chacun a pu ressentir au cours de son existence : la peur d’être victime d’une administration qui ne comprend pas votre cas particulier, la peur du chômage, ou de se faire éjecter des rails de sa vie, la crainte d’être pris pour un fou et de ne pas parvenir à démontrer sa “normalité”. Pour Emmanuelle Cuau, la “normalité” reste évidemment une notion floue, pas aisée à définir, et Très bien, merci s’attache à renverser subtilement les idées admises : c’est notre société policière, tatillonne, contrôleuse, qui devient peut-être folle sans que l’on s’en rende compte, qui exclue tout individu s’écartant un tant soit peu d’une norme de plus en plus étroite. On ne dévoilera pas ici la dernière partie du film, si ce n’est pour dire qu’elle se dirige vers un faux happy end socialement assez noir mais cinématographiquement réjouissant. Un dernier mot sur les acteurs, formidables de précision et de sobriété, au diapason d’un film tenu, sans gras, pince-sans-rire, écrit et filmé à la pointe sèche, qui trouve sa beauté et sa justesse en retranchant plutôt qu’en ajoutant. Un film vraiment très bien, merci.
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