Réalisateur de petites oeuvres cultes, Alex Cox a signé avec « Sid & Nancy » un atypique tract punk. A l’occasion de ses trente ans, le film revient sur les écrans le cinq août prochain, en attendant une sortie dvd/bluray le 29 août. Une bonne raison pour redécouvrir une oraison funèbre qui, loin du consensuel des comédies romantiques standards, avait originellement pour nom « LOVE KILLS »…
Le 12 octobre 1978, le corps de Nancy Spungen est retrouvé ensanglanté dans la salle de bains d’une chambre du Chelsea Hotel (New York), lardé de coups de couteau. Blonde platine à l’attrait polémique, elle était la groupie invétérée et girlfiend passionnelle de Sid Vicious, écorché vif alors bassiste hasardeux – depuis trois ans – du groupe punk The Sex Pistols. Accusé du meurtre de sa concubine, défendu par le manager renommé Malcolm McLaren ainsi que par Mick Jagger (payant les frais juridiques), l’incandescente superstar sera retrouvée sans vie le 2 février 1979 à Greenwich Village, emportée par une overdose d’héroïne à l’âge de 21 ans.
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En 1986, le cinéaste indépendant Alex Cox a souhaité renverser le fait divers urbain pour en faire une histoire d’amour atemporelle : c’est de cela dont traite Sid & Nancy, autoproclamée « punk rock romance ».
Le récit du punk par un cinéaste punk
https://www.youtube.com/watch?v=s44ya8NNpRk
Sid & Nancy est un film emblématique à plus d’un titre. Déjà car Gary Oldman, loin de ses velléités de bad guy névrotique (Léon, Le cinquième élément) ou d’homme sage (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, The Dark Knight, La Taupe), y tient son premier rôle de prestance sur grand écran. Jusqu’alors habitué à arpenter les planches, Oldman, du haut de ses vingt-huit ans, use de sa spécificité de comédien (les sautes d’humeur, les fulgurances hystériques, les nerfs à fleur de peau tendance bipolaire) afin d’incarner Sid, le post-ado hurlant et frénétique, entre bruit et fureur. Il s’associe à l’énigmatique Chloe Webb, actrice rare portant à bout de bras le rôle d’une vie. Analogie intrigante : avant elle, Courtney Love auditionna pour prêter ses traits au sex-symbol délétère.
Dans l’imaginaire rock, Nancy est la femme fatale, junkie et ex-prostituée pervertissante, strip-teaseuse vulnérable (suicidaire), égérie ambivalente (des antécédents de schizophrénie paranoïde) mais également femme forte (s’édifiant manager de son amant)… In fine immortalisée en icône tragique, tendance Roméo et Juliette réécrit au crack. Bien avant d’être portée à l’écran, cette figure transgressive était déjà un archétype de cinéma, glissant de fangirl éphémère à porte-parole malgré elle d’un mouvement contre-culturel. Or, si par-delà la dimension historique Sid & Nancy retranscrit fidèlement cette aura fantasmagorique, c’est grâce à la personnalité de son réalisateur, Alex Cox.
Le premier film de ce natif de Liverpool, Repo Man, avec Harry Dean Stanton (célébré la même année pour sa prestation dans Paris, Texas) et Emilio Estevez (frère de Charlie Sheen), contait déjà avec désinvolture les déambulations de punks indécrottables, sous fond de sonorités furieuses signées Black Flag, Suicidal Tendencies et Iggy Pop. Mix improbable entre science-fiction et cinéma social, cette comédie délirante était alors célébrée par Roger Ebert, l’un des critiques les plus influents des Etats-Unis, lequel y concevait une leçon de cinéma anti-commercial. En employant des acteurs méconnus afin d’interpréter des figures à la fois contestatrices et contestées, le réalisateur prolonge avec Sid & Nancy cette envie de cinéma anti-establishment : tel Sid Vicious, il sera tué par le système, puisque blacklisté par Hollywood, quelques années plus tard.
Grand fan de Luis Buñuel et de Joe Strummer, ayant fréquenté au cours des années soixante-dix la scène punk de Los Angeles mais également celle de Bristol, Cox prône l’idée d’un cinéma politique voire anarchique (façon Anarchy in the UK). Tel que le suggère ce biopic (et cette scène à la fois parodique et onirique où Sid et Nancy s’embrassent sous une pluie d’ordures), la punk ou trash culture dépasse aux yeux du cinéaste le phénomène de mode pour s’inscrire, de façon plus universelle, dans la lignée des performances d’avant-gardes. Ainsi l’auteur déclare-t-il pour Vice que « le mouvement punk est à l’image du mouvement Surréaliste et des Dadaïstes. Ce n’était pas juste une manière de peindre ou de faire de la musique. C’est une certaine attitude, une rébellion, qui confère à ce mouvement toute sa qualité« . Pour rendre compte de cette discordance propre aux courants culturels, qui est également graphique (entre le ténébreux et le criard), Cox emploie le très talentueux directeur de la photographie Roger Deakins, qui au fil des années deviendra un fidèle des frères Coen (Fargo, The Big Lebowski, No Country for Old Men).
Edifier ce couple sulfureux revient aux yeux de Cox à affirmer une forme de contestation amère et survoltée, dont l’artiste fera de nouveau état à la fin du vingt-et-unième siècle en co-scénarisant le très gonzo Las Vegas Parano de Terry Gilliam, d’après le best seller cinglant de Hunter S. Thompson. Loin des documentaires officiels (L’obscénité et la fureur, The Great Rock’n’Roll Swindle, Pirates of Destiny), focalisé sur la relation intime unissant ces deux oiseaux aux ailes brûlées, Cox propose via Sid et Nancy sa propre vision des faits, largement contestée par Johnny Rotten, le qualifiant volontiers de « bastard » et concevant en son hommage une « fucking fantasy« . Raison de plus pour revoir à l’occasion de ses trente ans un biopic dont le réalisateur a été qualifié de « vaurien » (et donc de punk) par le leader des Sex Pistols himself…
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