Aussi féroce qu’indulgent, Nanni Moretti décortique avec aisance le mouvement des transmissions générationnelles.
Comme son nom l’indique, Tre Piani est un film fondé sur la verticalité et dont il faut investir les différents niveaux… Adapté d’un roman de l’Israélien Eshkol Nevo, le film brosse le portrait croisé de trois cellules familiales d’un immeuble romain cossu unies par un même évènement qui va les affecter chacune de manière différente.
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Coscénarisé par Nanni Moretti avec la collaboration de Valia Santella et Federica Pontremoli, le film frappe d’entrée par sa minutie d’écriture, dans la justesse des événements décrits comme dans leurs causalités. Tre Piani ne raconte qu’un mouvement qu’il étudie et décortique tel un chirurgien muni de son bistouri. Celui des transmissions (morales, biologiques) d’une génération à une autre et la façon dont la progéniture reproduit les schémas de ses ancêtres ou les court-circuite.
Avec ou contre le système parental, le film montre qu’il y a dans tous les cas la trace d’un certain déterminisme. C’est l’étage sociologique de Tre Piani, aussi féroce qu’indulgent sur ce petit théâtre qu’est l’existence humaine. Car s’il y a quelque chose de crépusculaire dans le regard de Moretti, il ne paraît jamais résigné. C’est la mélancolie d’un filmeur à l’âge désormais avancé mais qui parvient à maintenir une humanité intacte à son cinéma.
Celle-ci est préservée par la présence de Moretti lui-même, dont il est particulièrement émouvant de voir la manière dont il s’efface de plus en plus en tant qu’acteur, mettant son corps au service d’un personnage pas immédiatement aimable (un juge qui œuvre sans fléchir à la justice des hommes, même lorsqu’il s’agit du destin de son fils), totalement délesté de cette fougue insolente et irrésistible de sale gosse qui habitait ses rôles dans ses précédents films.
L’art de l’évidence
L’étage le plus beau, c’est celui du témoignage chuchoté d’un cinéaste qui vieillit (il mettra même en scène la mort de son personnage dans une scène bouleversante d’élégance), et avec lui d’un cinéma porté à un nouveau seuil de maturation, renforçant admirablement une idée du filmage tout en épure classique. Si l’évidence est un mot particulièrement chargé de sens dans la pensée critique depuis que Jacques Rivette l’a génialement associé au cinéma de Hawks, si son emploi peut sembler parfois usurpé, on ne voit pas d’autre mot pour qualifier ici l’art de Moretti.
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L’évidence, c’est ce qui ne pourrait être autrement, et c’est précisément ce qui habite chaque plan de Tre Piani. Sans doute moins génial et puissant que les géants que sont les deux dernières fictions de l’Italien (Habemus Papam, 2011, et Mia madre, 2015), Tre Piani demeure traversé par cette certitude instinctive, celle propre aux très grands cinéastes.
Tre Piani de Nanni Moretti, lui-même, Margherita Buy (It., 2021, 1 h 59). En salle le 10 novembre.
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