Conte d’exil. Sous ses aspects romanesques et foisonnants, Transatlantique est aussi un état des lieux d’un pays martyrisé, l’Uruguay, qui sort d’une longue torpeur. Dès les premières images de Transatlantique, Christine Laurent fait surgir le romanesque là où Fritz Lang l’avait fait disparaître à la fin de Moonfleet. Comme l’ultime incarnation de ce Jeremy Fox […]
Conte d’exil. Sous ses aspects romanesques et foisonnants, Transatlantique est aussi un état des lieux d’un pays martyrisé, l’Uruguay, qui sort d’une longue torpeur.
Dès les premières images de Transatlantique, Christine Laurent fait surgir le romanesque là où Fritz Lang l’avait fait disparaître à la fin de Moonfleet. Comme l’ultime incarnation de ce Jeremy Fox qui n’a pas fini de faire rêver petits garçons et petites filles, le boxeur noir nommé Colossus, déchu et bientôt aveugle, sort de la mer. Et quand ils deviennent scénaristes et/ou cinéastes, les petits garçons et les petites filles se souviennent de leur émerveillement d’autrefois et commencent par payer leur tribut au plus beau film d’apprentissage qui soit. C’était une lettre de sa mère morte qui enjoignait John Mohune le garçonnet de Moonfleet de se mettre sous la protection de Mister Fox ; c’est un télégramme falsifié par un gentil manipulateur nommé O’Nety (comprendre Onetti, le romancier uruguayen) qui pousse Laure Constant à traverser l’océan pour rejoindre son amour.
Transatlantique est donc un roman dont on aurait arraché les premières pages celles de la rencontre. Il commence avec la disparition de celui qui a initié le mouvement. Apparaît alors l’héroïne, celle qui se met sur les traces du bel évanoui dans la nature, celle qui devra confronter la magie d’un nom de lieu (Montevideo) et la réalité incertaine d’un pays longtemps anesthésié par une dictature féroce (l’Uruguay), celle qui devra passer du plaisir indolore d’un jeu enfantin (son doigt sur le globe lumineux, « Je vais là » ) aux risques réels de se perdre corps et biens.
Puisqu’on est dans un roman d’aventures, l’héroïne sera chanteuse, parisienne, frêle mais déterminée. Sur sa route, elle croisera quelques personnages hauts en couleurs : un gentilhomme de fortune dans la lignée de Corto Maltese, un entraîneur de boxe et son poulain, deux exilées volontaires et dépositaires du bon goût français, un couple qui se déchire dans un hôtel désert, un enfant sur la plage. A leur contact, elle apprendra que les apparences sont toujours trompeuses, que le salaud flamboyant est en fait un héros déjà oublié et qu’elle poursuit son rêve dans un pays qui se réveille d’un long cauchemar. Car toute la beauté du film réside dans son point de retournement : amoureuse exaltée qui traque son bonheur enfui jusqu’au bout du monde, Laure devient à son tour un fantasme ambulant, la promesse d’un ailleurs possible qui vient agiter ce théâtre d’ombres. Presque inconnue à Paris, elle se transforme en « la chanteuse française qui cherche Colossus ». Pour s’accepter comme telle et faire enfin partie du décor, il lui reste à affronter les feux de la rampe. Laure devra chanter pour que Colossus sorte de sa nuit…
Réflexion minnellienne sur le spectacle (la boxe, la chanson) comme révélateur et condensé des errances de la passion, Transatlantique pousse le romanesque jusqu’à saturation, jusqu’à l’extrême limite du dérisoire les chansons du film sont très faibles. Mais si Christine Laurent assume pleinement ses élans baudelairiens, elle en montre aussi la face la plus prosaïque, la plus vulgarisée : Colossus fait de la publicité pour des détergents et Ñato le jeune boxeur qui s’est entiché de Laure teinte vite son romantisme fiévreux d’un désir à l’immédiateté plus banale. Mieux, la cinéaste parvient à faire surgir la réalité assoupie et délicatement provinciale d’un pays oublié en empilant ce qui, ailleurs, n’aurait été que clichés littéraires. C’est la force du saisi documentaire qui surgit sous l’échappée sentimentale. Ainsi, le rivettisme historique de Laurent devient sujet à parodie tendre (le jeu sur le plan du métro parisien) et la gratuité du jeu de pistes débouche sur la radiographie d’une résurrection. Transatlantique est la vision d’une captive aussi amoureuse que lucide.
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