Entrain d’enfer. Une comédie hilarante sur la déportation. Non ? Si. Train de vie stagne parfois au niveau d’un bon gros Oury, mais peut aussi décoller vers les monts Lubitsch ou Chaplin. Un ami demandait récemment “Comment définir l’humour juif ?” Voyons : gag + métaphysique ? Logique poussée jusqu’à l’absurde ? Politesse du désespoir […]
Entrain d’enfer. Une comédie hilarante sur la déportation. Non ? Si. Train de vie stagne parfois au niveau d’un bon gros Oury, mais peut aussi décoller vers les monts Lubitsch ou Chaplin.
Un ami demandait récemment « Comment définir l’humour juif ? » Voyons : gag + métaphysique ? Logique poussée jusqu’à l’absurde ? Politesse du désespoir ? En panne de réponse vraiment satisfaisante, on en a conclu que l’humour juif, c’était comme l’humour anglais avec l’accent yiddish. Finalement, on conseillera plutôt à cet ami d’aller voir Train de vie. On ne sait pas grand-chose de Radu Mihaileanu (un cinéaste juif roumain qui vit en France depuis une vingtaine d’années), on n’avait pas fait attention à ses films précédents, mais avec ce Train de vie, histoire invraisemblable d’un shtetl qui organise un faux convoi de faux déportés conduit par des faux nazis afin d’échapper à la vraie déportation, Mihaileanu s’inscrit dans une tradition qui remonte à Lubitsch, Wilder, Chaplin (pour le meilleur) et Oury (pour le moins bon). Certes, ce film est bourré de défauts : le filmage est impersonnel, la photo fait dans le chromo standard, certains passages mélodramatiques viennent alourdir le film comme des bouffées de mauvaise conscience (Chaplin avait aussi ce défaut, mais pas Lubitsch)… Et puis le jeu des acteurs est inégal, allant de l’excellent au pas bon. Il y a en fait trois types de comédiens dans Train de vie : ceux qui s’expriment avec un accent yiddish parfait, ceux qui imitent mal l’accent yiddish (gênant, comme toute mauvaise imitation) et ceux qui parlent en français pur boeuf (mais l’humour juif sans pastrami dans le phrasé perd 50 % de son pouvoir hilarant).
Cela posé, Train de vie est une carpe farcie de dialogues et de situations qui en disent plus sur l’humour juif que n’importe quelle théorie. Exemple : « On part en train ? Oï, mais ma femme ne supporte pas le train ! Qu’est-ce que tu racontes ? Ta femme n’a jamais pris le train ! Justement ! Parce qu’elle ne le supporte pas ! » Ou encore « Le yiddish, c’est une parodie de l’allemand. C’est peut-être ça, la cause de la guerre. » Il y a aussi le fils du rabbin qui revient de la ville en étant devenu communiste jusqu’aux boucles (qu’il se fait tailler illico), ou encore les faux SS qui font la prière juive en rase campagne… Bref, un vrai festival, du concentré de Chalom Aleichem ou de Lionel Rocheman les connaisseurs apprécieront, les autres aussi. Mais tout hilarant qu’il soit, Train de vie amorce aussi un début de réflexion plus troublant, notamment par le biais du personnage joué par Rufus : le villageois Mordechai, désigné pour être le faux commandant nazi du faux convoi. L’habit ne fait pas le rabbin mais il peut faire le salaud et Mordechai prend goût à voyager dans le confortable wagon de première, s’identifie de plus en plus à son rôle de chef, laissant entrevoir la part d’ombre qui gît en chaque individu, les strates d’ambiguïté qui régissent les rapports sociaux, ainsi que le paradoxe du comédien.
Truffaut comparait les films à des trains lancés dans la nuit et Rivette disait que les bons films sont toujours une métaphore de leur tournage. Train de vie est alors doublement un bon film, sa fiction ferroviaire avançant au jugé dans la nuit nazie ; quant à la métaphore du tournage, elle n’échappera même pas aux aveugles puisque ce convoi-là est donné dès le départ comme une mise en scène (une petite production artisanale) avec son scénariste (le « fou » du village), son réalisateur (le rabbin), son directeur de production (le comptable), ses premiers rôles (Mordechai/Rufus), ses figurants (les villageois), etc. Dernière question : peut-on faire une comédie sur la Shoah ? Oui, tant que la Shoah demeure hors champ, tant que l’on ne s’approche pas trop près de son centre de gravité, tant que l’on ne pénètre pas dans un faux camp d’extermination. Ce qui rend le film de Benigni si malaisant (on y reviendra en temps utile) n’existe pas ici. Train de vie n’est pas un film sur la Shoah, c’est une comédie franco-juive qui renouvelle le genre en France, un film chargé d’entrain et de vie qui évoque un mixte entre La Grande vadrouille et Rabbi Jacob dans ses moments les plus gros, To be or not to be et Le Dictateur dans ses moments les plus subtils. Ceux qui les aiment prendront ce train, lancé à toute vitesse dans le sens de l’humour.
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