Notre reporter a rencontré les nymphettes au générique du nouveau film d’Harmony Korine. Et c’est pas piqué des hannetons.
« Je n’ai pas encore montré Spring Breakers à ma mère. Elle a très envie, mais j’ai peur qu’elle se mette à pleurer. Dans ce film, on est différentes de d’habitude » ! La blonde Ashley Benson, héroïne de série télé (Pretty Little Liars), se tourne vers sa meilleure copine, la brune Selena Gomez, 20 ans, chanteuse et actrice estampillée Disney, ex de Justin Bieber, quatorze millions de followers sur Twitter. « Moi, j’ai organisé une soirée avec mes proches. Pendant toute la projection, ils ont écarquillé les yeux. Ils étaient choqués, ce qui m’a prouvé que j’avais eu raison de tourner ce film ». Dans la pièce se trouve également Vanessa Hudgens, vedette de High School Musical et ancienne girlfriend de Zach Efron. Un concentré de teen stars aux vies tourbillonnantes et ultradocumentées. En bas du grand hôtel parisien où a lieu l’interview, une foule de jeunes filles hurle sans faiblir les prénoms de ses idoles. De temps en temps, ces dernières ouvrent la fenêtre du troisième étage et les saluent. Pour l’instant, le contact est encore établi entre leur monde ancien, celui de la pure célébrité adolescente, et ce qui pourrait devenir leur monde nouveau, la crédibilité aux contours arty d’actrices capables de s‘affirmer par leurs choix.
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C’est toute la finesse du réalisateur Harmony Korine que d’avoir voulu saisir et poétiser cette transition. Représentant iconique de la fibre underground du cinéma américain depuis quinze ans (Gummo, Julien Donkey-Boy, etc), ce proche de Gus Van Sant réputé enfant terrible a maintenant quarante ans. Tel Godard convoquant Chantal Goya dans Masculin Féminin en 1966, il s’est offert le casting idéal de tout artiste pop : de vraies stars prêtes à tout pour s’encanailler.
« Je voulais observer la nouvelle génération dont le rêve est d’abord de se vendre et de vivre de manière publique. Vanessa, Ashley et Selena incarnent ce rêve. Mon envie était de renverser leur image, mais surtout pas de les juger. Je n’ai jamais commenté leur comportement dans la vie. Depuis le début, je leur ai dit que ce serait une expérience hardcore. Je savais que plus elles iraient loin, meilleur serait le film ».
Si l’idée pouvait sentir le coup marketing, le résultat n’est rien d’autre que du cinéma : un acte d’émancipation collective éclairé par le regard d’un artiste. Une fiction noire et séduisante doublée d’un documentaire souterrain sur des actrices sortant d’elles-mêmes, presque ahuries d’en être arrivées là, gambadant en bikini, proférant des insanités, se frottant à des garçons au bord de la piscine. Vanessa Hudgens, presque mélancolique : « Je ne sais pas si je referai un jour un film comme ça, car les réalisateurs comme Harmony ne sont pas nombreux, mais je suis devenu accro à sensation de liberté extrême que j’ai ressentie sur le plateau. Je ne veux pas l’oublier ».
« L’étonnement et la surprise sont forcément beaux à filmer, poursuit Korine. Dans une séquence, le personnage de James Franco tente de violenter Selena Gomez. Je n’avais pas du tout préparé Selena, car je voulais saisir sa réaction sur le moment. C’était comme une expérience. Et je trouve qu’il s’agit de sa meilleure scène ». L’intéressée, elle, est complètement remise. Une vraie pipelette. « Pourquoi j’aurais hésité ? Je suis allé voir Harmony à Nashville, on a parlé de mon style de vie et de la façon dont il voulait que je m’en éloigne devant sa caméra. C’est la raison même pour laquelle j’ai accepté le film. Harmony souhaitait qu’on se laisse glisser avec lui, qu’on parte en spring break, en quelque sorte ».
« Toutes les filles aiment Britney Spears »
Ces vacances rituellement consacrées à la trinité sexe alcool et drogue, où des hordes d’étudiants débarquent chaque printemps en bord de mer, symbolisent la culture adolescente américaine la plus trash. Aucune des actrices du film n’y a participé dans la réalité. « Nous avons étudiées par correspondance », se justifient-elles en chœur. Le film leur a donné l’occasion d’en connaître le goût. « Le tournage a eu lieu en Floride au moment des festivités, explique Rachel Korine. Tout le monde se baladait en maillot, ce qui a rendu les choses plus faciles pour nous ». A vingt-six ans, Rachel est l’intruse de la bande. La seule inconnue. Mariée à Harmony Korine, elle porte un regard forcément différent sur le projet, qu’elle considère comme son bébé « puisque c’est le bébé d’Harmony ». Elle a joué un rôle majeur dans la réussite de Spring Breakers. « Avec elle, on se sentait en sécurité, explique Vanessa Hudgens. Et paradoxalement, cela nous a aidé à nous mettre en danger ». Même si son aisance à se glisser dans le moule stupéfie, le monde intérieur de madame Korine paraît sensiblement différent de celui de ses camarades. Le silence se fait dans la pièce lorsqu’elle explique avec brio que dans le film, « James Franco a le charme sinistre de Robert Mitchum ». Les autres connaissent-elles seulement Robert Mitchum ?
En bon organisateur du chaos, Harmony Korine a demandé au quatre jeunes femmes de passer le plus de temps possible ensemble avant le tournage. « Notre planning de répétitions était spécial, raconte Selena Gomez. D’abord, on a appris à faire du scooter. Ensuite, selon les jours, on faisait une lecture du scénario, puis on partait faire du shopping, ou bien on allait à la plage. C’était super cool. Celles d’entre-nous qui ne se connaissaient pas sont devenues amies assez vite » ! Une obligation pour le cinéaste en quête de performances délurées et fusionnelles devant la caméra.
« J’avais besoin qu’elles se sentent bien collectivement car ma méthode est un peu celle d’un chimiste : je mets certains éléments en contact, des lieux, des idées, des sons, des actrices ; je secoue tout ça et je filme le moment où l’explosion se produit. Cela donne naissance à une sorte de liquide narratif. Si l’un des éléments manque, tout s’affadit ».
L’un des points de jonction les plus fun pour les actrices a été le choix des tenues, maillots de bains fluos et t-shirts échancrés, une mode criarde au goût de cocktails suralcoolisés. « J’ai rassemblé des milliers d’images de spring break et j’ai beaucoup échangé avec la styliste, Heidi Nivens », explique le réalisateur. Evidemment « folles de mode » dixit Vanessa Hudgens, les filles se sont ensuite appropriées les fringues à la sauvage. Selena Gomez en est encore toute retournée. « En arrivant dans le salon d’essayage, j’ai halluciné, il y avait tant de paires de chaussures, de bikinis, de shorts, de t-shirts… On a passé quatre jours à tout essayer. Je n’avais jamais vu autant de trucs qui brillent dans une même pièce ». Un peu goguenard, Harmony Korine confie qu’à titre personnel, la mode le laisse « indifférent ». Il ment, bien sûr. Son style clochard céleste est un style en soi. On lui rappelle ses années de jeunesse à New York dans la bande de Chloë Sevigny, autour du label X-Girl, ses collaborations plus récentes avec Supreme et Proenza Schouler. « Je connaissais les créatrices de X Girl, Daisy Von Furth et Kim Gordon, c’est vrai. Dans les années 90, j’étais très influencé par la marque conceptuelle Bernadette Corporation, qui brouillait les frontières entre art et mode. Les gens de Proenza Schouler et Supreme sont des amis de longue date. C’est aussi intéressant pour moi de fréquenter ces gens que des peintres ou des musiciens. A mes yeux, ils n’ont rien à voir avec le milieu de la mode où les débiles sont légion ».
La fin d’après-midi approche. Les actrices sont réunies pour la séance photo. Le bon moment pour tester leur capacité collective à foutre en l’air une suite de luxe. Sauf que non. Jetlag ou attitude savamment calculée, les nubiles sont sages comme des images et picorent des bonbons. Une tentative de reprendre à capella Survivor de Destiny’s Child tourne court. Elles réservent leur énergie pour les poses puis retrouvent leur masque de stars post-adolescentes qui en ont vu d’autres. Harmony Korine se souvient que pendant le tournage, elles étaient sans cesse poursuivies par les paparazzis. « C’était un jeu étrange que j’ai fini par accepter. J’ai même utilisé cette énergie et cette urgence dans le film ». Les intéressées n’en parlent pas. Elles contrôlent. Elles ont juste hâte d’aller au spa. En apercevant des pots de vernis à ongles prévus pour l’une des images, Selena Gomez demande, mi-sérieuse, mi-amusée : « On va être associées à quelle marque » ? Une vérification express a lieu. Personne ne rigole plus.
Un peu plus tôt dans la journée, nous avions évoqué Britney Spears, dont deux chansons issues d’un autres temps sont reprises dans Spring Breakers. Les filles présentes aujourd’hui appartiennent à la génération d’après. Il semble qu’elles ont retenu la « leçon » des mésaventures de la célèbre chanteuse ou de son ex-meilleure amie Lindsay Lohan. Le film leur a peut-être offert un exutoire à moindres frais. A propos de son aînée, Selena Gomez a cette phrase étrange : « Toutes les filles aiment Britney Spears ». Mais on jurerait qu’elle fait tout pour ne jamais lui ressembler.
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