Dans un peu moins d’un mois, elle sera à l’affiche du « Monde est à toi », le nouveau film de Romain Gavras dans lequel elle campe une mère excentrique et cleptomane. En attendant, Isabelle Adjani nous a livré cette semaine, et pour la première fois, une longue interview. L’occasion parfaite pour revenir en quelques images sur les multiples facettes d’Adjani.
Cette semaine et pour la première fois, nous rencontrions Isabelle Adjani. Dans une longue interview l’actrice revenait sur ses débuts, sur les stigmates encore à vif de l’enfance. Elle évoquait aussi le harcèlement sexuel, François Truffaut, Marguerite Duras ou encore le burkini.
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Confrontée très jeune à sa propre image, « cette chose effrayante, qui ne cesse de s’étendre« , Isabelle Adjani n’a jamais été tout à fait là où on l’attend. De ses débuts d’enfant star à son statut d’icône, la comédienne a toujours établi une distance entre sa célébrité et sa personne, à tel point que cette pudeur est parfois passée pour de l’arrogance. Ses rôles au cinéma, eux, ont dessiné les contours d’une actrice monstre et fébrile à la fois, sensible et dévorante. Adjani a toujours joué sur ces deux terrains et son visage de madone n’a fait qu’accentuer cette ambiguïté. Diva précieuse pour certains, femme secrète pour d’autres, l’actrice a toujours suscité des sentiments contraires : déférence absolue ou rejet total. Sa maladresse, son franc-parler, son omniprésence puis, ses absences répétées, ses prises de paroles publiques engagées et son rejet des plateaux télé, sa spontanéité et sa maîtrise ont façonné ce mythe insaisissable.
1) Théâtre
En 1972, alors qu’elle est à peine âgée de 17 ans, la petite Isabelle, comme elle se fait appeler, rentre à la Comédie-Française et devient sa plus jeune pensionnaire. Celle qui n’est alors encore qu’une lycéenne devient, en un rien de temps, la vedette des planches. Adjani fascine, de par son jeune âge, son évident talent d’actrice et sa double vie : écolière modèle le jour, comédienne la nuit. Alors que sa jeune carrière est à peine lancée, on lui prédit déjà un grand avenir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs de ses captations théâtrales sont devenues si célèbres, tant elles laissent entrevoir les innombrables variations de son jeu.
Car Adjani n’est pas une simple bonne élève, récitant minutieusement ses textes, elle est magnétique. La forme ovale de son visage, sa peau diaphane, le bleu inquiétant de ses yeux, le rond parfait de sa bouche, la voix douce, capable de se briser en un instant ou de s’élever avec rage… Tout en elle attise les regards. Très tôt, la jeune comédienne connait quelques succès : il y aura La Maison de Bernarda dans laquelle elle joue aux côtés d’Annie Ducaux, ou encore son rôle d’Agnès dans L’école des femmes. Mais il faudra attendre 1974 et le Ondine de Giraudoux, mis en scène de Raymond Rouleau, pour qu’Adjani explose. Là, dans la peau de cette mystérieuse et angélique fille du lac, la comédienne semble annoncer la constance de ses prochains rôles, ceux d’une femme enfant au visage triste, d’une amoureuse éperdue aux yeux remplis de larmes, d’une ingénue au visage d’ange et de démon.
2) “Si la vocation est une certitude alors surement pas”
Peu d’actrices françaises ont connu une ascension aussi fulgurante que celle d’Isabelle Adjani. Pourtant, à ses débuts, la jeune actrice ne semble pas vraiment habitée par une ambition débordante. Dans cette interview télé, la jeune ado déjà pensionnaire à la Comédie Française évoque le théâtre non pas comme une véritable vocation mais plus comme un goût venu de la lecture de textes étudiés en classe. Si la jeune fille semble encore peu sûre de ses choix et de ses envies, sa parole posée et construite semble dire tout le contraire.
3) La Gifle de Claude Pinoteau (1974)
Au début des années 1970, la comédienne s’est déjà illustrée dans quelques rôles mais comme au théâtre, 1974 sera l’année de la révélation. Avec son total look jean, ses pattes d’éph, son panier en paille, sa mobylette qu’elle pilote à toute allure et son répondant, la Isabelle de La Gifle, cette étudiante en médecine vivant avec un papa sympathique quoi qu’un peu autoritaire (Lino Ventura), devient l’icône d’une génération. La jeunesse française se bouscule dans les salles de cinéma et vient partager les gentils tracas de la belle Isabelle. Six ans avant La Boum, son slow entêtant et sa Vic pleurnicheuse, Claude Pinoteau offre un prototype de l’intrépide jeune fille française un brin rebelle.
Sur les plateaux télé où elle vient présenter le film, l’indocile Adjani semble déjà consciente de son aura de star et plus encore de l’impérieuse nécessité de s’écarter de ce statut, en commençant par rembarrer le journaliste qui l’a surnomme la petite Adjani : « D’abord je ne suis pas ça, je suis juste moi.« La Gifle est un immense succès populaire et décroche le prix Louis-Delluc en 1974. Isabelle Adjani, du haut de ses dix-neuf ans, devient la nouvelle coqueluche du cinéma français que tout le monde s’arrache, au premier rang duquel se trouve un certain François Truffaut.
4) L’histoire d’Adèle H de François Truffaut (1975)
https://www.youtube.com/watch?v=yMiPGJGsKPU&t=8s&frags=pl%2Cwn
« -Tu es si belle. Quand je te regarde, c’est une souffrance.
-Pourtant, hier tu disais que c’était une joie ?
-C’est une joie et une souffrance. »
C’est à la toute fin de La Sirène du Mississippi, dans un paysage enneigé, que Jean-Paul Belmondo s’adressant à Catherine Deneuve prononce pour la première fois la célèbre réplique truffaldienne, reprise plus tard dans Le Dernier Métro. Nous sommes en 1969 et le tournage de L’Histoire d’Adèle H est encore loin, mais on ne peut s’empêcher de voir dans cette sublime réplique un indice de la future rencontre entre François Truffaut et Isabelle Adjani. Des années plus tard, quand le réalisateur évoquera le tournage de L’Histoire d’Adèle H, il parlera d’une « souffrance de tous les jours » et dira au sujet de son actrice : « Le soir, mes yeux et mes oreilles sont fatiguées de l’avoir trop fortement regardée et écoutée toute la journée. »
Treize ans avant Camille Claudel de Bruno Nyutten dans lequel elle incarne la célèbre et tourmentée sculpteuse, François Truffaut fait du visage et du corps d’Isabelle Adjani les symptômes douloureux d’un amour fou et dévorant. Après le succès de sa Nuit américaine, auréolée, entre autre, d’un Oscar, le cinéaste souhaite adapter une partie du journal de la deuxième fille de Victor Hugo. Mais ce qui intéresse Truffaut, ici comme toujours, n’est pas tant le nom de la jeune femme que sa folle passion malheureuse et à sens unique pour un lieutenant de l’armée anglaise. Au début des années 1970, quand il échafaude le projet, il promet d’abord le rôle à Catherine Deneuve. Plus tard, il pense à Stacey Tendeter, la rousse de ses Deux Anglaises... Mais il faudra attendre le choc Adjani pour que le cinéaste se décide. En septembre 1974, c’est d’abord sur son petit écran de télé qu’il découvre sidéré la captation de l’Ecole des femmes puis, plus tard, au cinéma, La Gifle. Le charme opère instantanément : Adèle H se fera avec Adjani ou ne se fera pas. Il s’empresse de lui écrire :
« Vous êtes une actrice fabuleuse et, à l’exception de Jeanne Moreau, je n’ai jamais senti un désir aussi impérieux de fixer un visage sur la pellicule (…) en sortant de La Gifle, j’ai eu la conviction que l’on devait vous filmer tous les jours, même le dimanche (…) Votre visage tout seul raconte un scénario (…) vous pourriez même vous permettre de jouer un film sans histoire, ce serait un documentaire sur vous, et cela vaudrait toutes les fictions. »
Et c’est bien ce visage-écran que François Truffaut va s’évertuer à capturer. Tantôt figée comme sculptée dans le marbre, tantôt possédée et déformée par la folie, la figure d’Adjani est une surface infinie de laquelle jaillissent les émotions. Rarement un film aura à ce point fait du corps de son actrice, de son regard, de sa voix, la force motrice de sa narration. Ici, seuls les yeux d’Adèle et la maladie qui est en train de lui ronger le cœur comptent. Adjani n’a que 19 ans, mais déjà elle cannibalise le film de toutes parts. Si Adèle H reste comme l’un des plus grands rôles de l’actrice, il est aussi celui pour lequel elle décida de rompre son contrat avec la Comédie-Française et celui qui amorça sa vie d’actrice de cinéma.
5) Barocco d’André Téchiné (1976)
Barocco marque la première rencontre entre Isabelle Adjani et Gérard Depardieu et inscrit la cinéphigie de leur couple amoureux – lui, masse imposante, elle frêle Blanche-Neige – dans l’imaginaire des cinéphiles. Polar sombre et baroque, pétri d’influences diverses (du film noir à l’expressionnisme allemand), le film rejoue le mythe Vertigo au masculin. Pour Adjani, Barocco sera le film de trois rencontres décisives (Depardieu, Nyutten avec qui elle projettera Camille Claudel et André Téchiné qu’elle retrouvera sur Les Sœurs Brontë). Enfin, il ajoute à sa filmographie un nouveau rôle d’amoureuse éplorée aux airs de petit garçon perdu.
En 2010, Benoît Delépine et Gustave Kervern se souviendront de cette tragique histoire d’amour et rendront hommage au couple d’amants dans une brève et bouleversante séquence de Mammuth, en interchangeant leurs rôles. Cette fois-ci c’est Adjani qui a disparu. Son fantôme vient encore hanter Depardieu pour lui susurrer des mots d’amour à l’oreille.
6) Possession d’Andrzej Żuławski (1981)
Si l’on devait retenir quelques images d’Isabelle Adjani dans Possession, il y en aurait deux. La première, évidente serait celle, inoubliable, de la célèbre séquence du métro dans laquelle, comme un pantin maléfique, Adjani, bouche en sang et yeux écarquillées, fracasse son corps contre les parois d’un interminable couloir dans une danse euphorique et morbide. Rarement, on aura vu une actrice repousser avec autant d’entrain les limites de l’exercice sadomasochiste, prise dans les mailles du délire schizophrénique de son metteur en scène.
La deuxième, plus sage et apaisée, serait celle de son sacre un an plus tard. Adjani a 27 ans. C’est la troisième fois qu’elle est nommée aux César, après L’histoire d’Adèle H et Barocco. Cette fois-ci, devant un casting quatre étoiles – Fanny Ardant (La femme d’à côté), Catherine Deneuve (Hôtel des Amériques) et l’autre Isabelle (Huppert pour Coup de torchon), sa rivale de toujours – elle reçoit son premier César, blaguant sur le taffetas froissé de sa robe avec une maladresse telle qu’on a du mal à savoir s’il s’agit d’ironie ou d’une remarque de princesse.
7) L’Eté meurtrier de Jean Becker (1983)
https://www.youtube.com/watch?v=IOd_NBTqjnA&frags=pl%2Cwn
Près de dix ans après avoir été la jeune étudiante et fille à papa d’une génération dans La Gifle de Claude Pinoteau, Isabelle Adjani devient le nouveau sex-symbol français. Dans L’Été meurtrier de Jean Becker elle prête ses traits fins à Éliane, jeune fille de 20 ans à la sensualité débordante. Celle que l’on surnomme Elle se balade dans le petite village, où elle vient d’aménager et affole les passants. De l’autre côté de l’écran, c’est la même chose : la fine et frêle Adjani s’est muée en féline sexuelle. Fille facile pour certains et fille (forcément) dangereuse puisque séductrice pour d’autres, Eliane feint de succomber au charme du jeune et pas bien adroit « Pin-Pon » (Souchon). Les deux amants finiront par s’épouser avant que la jeune femme, torturée par une sordide histoire, ne sombre dans la folie. Un rôle dont Adjani dira qu’elle ne se doutait pas un instant de l’onde de choc érotique qu’il allait déclencher…
… qui lui vaudra des louanges (et un nouveau César) mais aussi son lot de remarques sexistes comme en témoigne cette ahurissante interview où en guise de question, PPDA, visiblement excité comme une puce, enchaîne les commentaires tels que « C’est vous toute crue du début jusqu’à la fin » ou encore « Vous cachez bien vos sentiments mais vous ne cachez pas tout… » Dix ans après son rôle de petite fille modèle dans La Gifle, Isabelle Adjani acquière un statut semblable à celui de Brigitte Bardot, révélée dix huit ans plus tôt dans le manifeste Et Dieu créa la femme de Roger Vadim.
8) Musique avec Gainsbourg
C’est cette même année de 1983 qu’Isabelle Adjani sort son premier album. Longtemps réticente à l’idée de devenir une « actrice qui chante », la comédienne s’est finalement laissée convaincre. Gainsbourg lui concoctera un sublime album et Adjani mettra la main à la pâte pour l’écriture des textes. Le résultat donnera un album bouleversant aux innombrables tubes, de Pull Marine à Ohio en passant par Beau comme Bowie. Un an plus tard, l’émission Melody Variétés consacre un show entier à Adjani et à ses chansons. Dans différents décors, l’actrice interprète quelques uns de ses tubes : un salon rempli d’ours en peluche avec lesquels elle se chamaille pour Et moi chouchou, un appartement qu’elle saccage pour Ohio, le parvis d’une cité de banlieue pour Le bonheur c’est malheureux ou encore cette infinie piscine qu’elle arpente comme perdue dans un no man’s land pour Pull Marine.
9) 1987 : la rumeur du sida
La carrière d’Adjani n’a cessé d’être rythmée par des pauses et des retours, à tel point que ses absences à l’écran sont bien souvent devenues les sujets préférés des bavardages. Après le succès fou de L’Eté Meurtrier, Adjani s’éclipse une première fois. Quand elle réapparaît c’est en princesse punk dans le Subway de Luc Besson et toutes les jeunes filles des années 80 se mettent à coiffer leurs cheveux en bataille. En 1987, l’actrice est en pleine préparation de Camille Claudel de Bruno Nyutten. Elle se fait rare sur les écrans et encore plus sur les plateaux de télévision. C’est à ce moment là que la rumeur annonçant qu’elle est atteinte du sida surgit. Certains affirment même qu’elle est à l’article de la mort. C’est donc contrainte que la comédienne décide de se rendre sur le plateau du journal de Tf1 pour démentir les commérages. Ce soir là, l’air grave, elle se voit obligée de « réajuster » la vérité devant la France entière.
10) Lecture des Versets Sataniques de Salman Rushdie au César 1989
1989 : César épisode 4. Après avoir porté à bout de bras l’herculéen film de Bruno Nyutten, Camille Claudel, Isabelle Adjani est à nouveau couronnée d’un César, le quatrième en seulement sept ans. Plus assurée qu’à ses débuts, Adjani, comme tout droit sortie d’un conte des milles et une nuit, profite de ce moment de grande écoute pour lire un extrait des Versets sataniques de Salman Rushdie. A l’époque, l’écrivain britannique qui vient de publier son quatrième roman fait l’objet d’une fatwa commandée par le religieux et homme politique iranien Rouhollah Khomeini. Une menace de mort contre l’homme mais aussi contre l’artiste et sa liberté d’expression, qu’Isabelle Adjani s’empressera de défendre. Son discours lui est entièrement consacré.
11) 2010 : cinq César et un record
Au début des années 2000, Isabelle Adjani a quasi disparu des radars. Depuis ses retrouvailles avec Jean-Paul Rappeneau dans Bon Voyage, la comédienne est absente. Il faudra attendre 2009 et un télé-film sur Arte pour avoir de ses nouvelles. Avec La journée de la jupe, Adjani retrouve un de ces rôles border line qu’elle affectionne tant : celui d’une professeure de français au bord du gouffre. Le film, initialement prévu pour la télévision, est diffusé le 20 mars 2009 sur la chaîne franco-allemande. Ce soir là ce sont plus de 2,5 millions de téléspectateurs qui scrutent le grand retour d’Adjani. Le 25 mars le film est en salle et l’année d’après la comédienne reçoit des mains de son ami et amant de cinéma Depardieu son cinquième César (après celui de 1995 pour son rôle de reine flamboyante dans La Reine Margot de Patrice Chéreau). Dans un long discours, empreint d’émotion parfois un peu trop appuyée, Ajdani revient sur le parcours de ce « petit film » dont personne ne voulait.
12) Comédie : de Rappeneau à Dix Pour Cent
Enfin, si on a souvent ramené Adjani à l’image d’une actrice sans limite, ayant fait des personnages névrosés et amoureux, la ligne directrice de sa filmographie, il ne faut pas oublier qu’elle est aussi une grande actrice de comédie. Dans La Gifle d’abord où elle n’hésite pas à répondre avec malice à son père, mais aussi dans Tout feu tout flamme (1982) de Jean-Paul Rappeneau confrontée à un père ingérable et enfantin et puis plus tard dans Bon Voyage… Un goût certain pour la comédie que son passage très réussi dans la série Dix Pour Cent – et approuvé par les géniaux Noémie et Hervé : « -Elle est tellement magnétique, élégante… -Poétique aussi« – n’a fait que confirmer.
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