En tête du box-office mercredi dernier, la première réalisation de et avec Franck Dubosc raconte la romance d’une femme handicapée et d’un homme qui prétend l’être lui aussi pour la séduire. De par ses choix de cadrage, « Tout le monde debout » filme les femmes comme des corps sans tête, livrés à l’oeil lubrique de l’humoriste. Un regard affligeant.
Sous son titre aux airs de slogan de la République en marche, Tout le monde debout est un petit événement puisqu’il s’agit du premier passage de Franck Dubosc derrière la caméra. Déjà auteur des scénarios de sa franchise Camping, il en a également écrit seul le script et en est évidemment le personnage principal. Ce personnage, inutile de revenir dessus. Mélange de beaufitude fièrement brandie, de misogynie ringarde, d’humour salace, d’égoïsme crasse et de mythomanie cachant en fait une sensibilité à fleur de peau, il n’a pratiquement pas changé depuis le premier one-man show de l’humoriste présenté au public il y a tout juste 20 ans.
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Le seul déplacement que propose Tout le monde debout par rapport au personnage que les Français adorent depuis deux décennies se situe au niveau de son rang social. En 2018, il a troqué la glacière, le pastis, le slip de bain et sa caravane contre un bureau à la Défense, une chemise repassée, du champagne et une villa avec piscine à fond mobile. Celui qui s’appelle ici Jocelyn est donc patron d’une entreprise de chaussures de sport. Mais il est surtout obsédé par les femmes qu’il essaie d’enchaîner en piochant dans un arsenal de mensonges sans limite. C’est là qu’arrive le plus gros des mensonges, son potentiel chef-d’œuvre. Un concours de circonstances fait qu’on l’imagine handicapé en fauteuil roulant. On lui présente alors une femme (Alexandra Lamy), elle aussi handicapée. Il va tenter de la séduire.
Ce récit ressemble à s’y méprendre à une comédie française sortie en 2016, à tel point qu’il la plagie presque. Dans un registre plus indé, La Prunelle de mes yeux d’Axelle Ropert racontait l’histoire d’amour entre une jeune femme aveugle et un jeune homme qui faisait semblant de l’être pour tenter de lui plaire. Mais si la réalisation d’Axelle Ropert offrait à cette romance mensongère un écrin ultra-sensible et précieux, celle de Franck Dubosc est au contraire d’une muflerie navrante.
Au début du film, on voit Franck Dubosc croiser une série de femmes filmées de dos ou jusqu’à la poitrine, pour que le mâle grisonnant puisse reluquer leur fesses et leur seins avec insistance. Cette propension de la réalisation à refuser de donner un visage, soit une forme de dignité, à l’objet du désir va se faire systématique. La sœur du personnage d’Alexandre Lamy apparaît pour la première fois à l’écran à travers un plan rapproché sur ses fesses et ce n’est qu’au troisième plan qu’elle aura enfin droit à un plan au-dessus des épaules ou devrait-on dire des seins tant la caméra s’y attarde avec vulgarité. Mais certaines n’auront pas la même chance.
Lors d’une scène de dîner, les quatre personnages principaux du film croisent un couple formé par un collègue musicien du personnage joué par Alexandra Lamy, venu avec sa compagne qui est, comme on le comprend vite de par sa taille, sa carrure et sa robe, une personne transgenre. Si la caméra octroie au musicien un cadrage poitrine standard, la personne transgenre a la tête coupée par le cadre. Même lorsqu’elle aura droit à la parole – d’une voix évidemment grave et suave -, la caméra se débrouillera pour lui refuser un faciès. Pour paraphraser le vieil anathème de Rivette à propos de morale et mise en scène, on peut dire que l’homme qui décide, à ce moment, de faire un plan dont le cadrage prend soin de décapiter cette personne transgenre tout en faisant rire en cadrant le contraste entre sa forte poitrine et ses larges épaules, cet homme n’a droit qu’au plus profond mépris.
C’est dans le choix sans doute inconscient de la forme de handicap de ses personnages que le film se déprend un peu de sa voracité sexiste. Le respect du corps trouve en effet dans la déficience motrice un allié inattendu : impossible en effet de filmer sur un fauteuil roulant les fesses d’Alexandra Lamy.
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