Disponible sur Netflix, le documentaire Diana: In Her Own Words (2017), constitué exclusivement d’enregistrements inédits de la Princesse de Galles, revient sur sa vie et son expérience en tant que membre de la famille royale. A l’occasion de la sortie de la saison 4 de The Crown, retour sur les coulisses de la Couronne britannique et les dessous d’une image idyllique.
On la qualifiait parfois de “Marilyn Monroe des années 1980”. Diana Spencer, épouse du Prince Charles pendant officiellement 15 ans, était perçue à son époque comme l’image même de la joie et de la spontanéité. Au milieu de tout un tas de personnes guindées, elle faisait tache par son apparente décontraction, son expressivité et son authenticité. Comme Marilyn, on disait de sa beauté qu’elle était rayonnante et d’une certaine façon : pure. Diana: In Her Own Words revient sur l’histoire d’une femme au destin exceptionnel, mais le film évoque sans le vouloir un phénomène. Comment une certaine image de la féminité, relayée massivement par les médias et utilisée à des fins politiques par les Windsor, a-t-elle porté préjudice à un individu ?
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L’intérêt majeur de ce documentaire réalisé par Tom Jennings et David Tillman réside donc dans ces enregistrements audio de Diana qui, en 1991, a décidé de se confier en vue d’une biographie. Pour écrire ce livre, le journaliste Andrew Morton a donc rédigé des questions qu’il a confiées à un proche de la Princesse, en lui laissant le soin de les lui poser et de les enregistrer. Ce sont ces cassettes qui rythment le film, dont Andrew Morton n’a révélé l’existence qu’après le décès de Diana, en 1997. Ces confessions – scandaleuses pour la Couronne – sont restées secrètes jusqu’à la diffusion de Diana: In Her Own Words à la télévision américaine, en 2004. Faisant face à des tentatives de censure, la télévision britannique n’a pu programmer le documentaire qu’en 2017.
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Le destin qui semble frapper à sa porte
D’après sa propre description, Diana a vécu une “enfance malheureuse” marquée par les pleurs constants d’une mère dépressive. Ses parents, divorcés, respectaient à la lettre l’étiquette aristocratique. Elle n’a donc reçu que très peu d’affection de la part de son père, un homme distant et pudique. Turbulente, pleine d’énergie, elle préfère le sport à l’école. La jeune fille se rêve un avenir merveilleux qui, selon les critères de son milieu, implique d’épouser “un grand homme”. Lorsqu’ils se rencontrent, en 1977, Charles a 29 ans et Diana 16. L’héritier au trône fréquente alors Sarah Spencer, l’une des grandes sœurs de l’adolescente. Après quelques années de liberté, à 32 ans, il est temps pour le Prince de Galles de se caser.
Du point de vue de la Couronne, Diana Spencer répond à toutes les attentes. Non seulement elle possède un charme exceptionnel, mais elle affiche une attitude discrète et possède le degré de noblesse suffisant. Et, précise-t-elle, ses proches pouvaient jurer qu’elle était encore vierge – à raison. A ses yeux, les garçons allaient la détourner de l’avenir fabuleux qui l’attendait et, de ses propres mots, elle les fuyait et se “gardait” pour le bon prétendant. Alors, quand le Prince (soi-disant) charmant fait mine de s’intéresser à elle, c’est le destin qui semble frapper à sa porte. Diana, à 19 ans, croit épouser sa propre destinée en acceptant la demande en mariage de Charles.
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La construction du mythe
Mais ce que la Couronne et les médias ignoraient encore, c’est que sous le visage d’ange bouillonnait un désir fou. Diana Spencer a grandi en se rêvant une vie exceptionnelle, loin du commun des mortels. Avant même d’être projetée brusquement sur le devant de la scène, elle attendait un public. Dans les premières années de ce mariage désastreux, la jeune femme découvre alors la joie de se sentir adorée par une foule d’anonymes, le bonheur d’être reconnue et d’avoir une place en ce monde. Et, dans le même temps, elle fait les frais de cette surmédiatisation. Elle subit rapidement cet excès d’attention, plus qu’elle n’en jouit.
Diana l’avoue sans peine, la boulimie a commencé une semaine seulement après ses fiançailles. Elle raconte en détail le nombre de ses crises quotidiennes, se faisant vomir jusqu’à quatre fois par jour et cela même pendant ses deux grossesses. Quand on lui demande combien de fois elle a voulu mourir, les mots sortent de sa bouche plus vite qu’elle ne pense : quatre fois. Scarifications, baby blues, dépression… Autant d’appels à l’aide qui restent ignorés par le principal intéressé. Un jour, alors enceinte de William, elle se jette dans les escaliers. Serait-ce cette scène qui a inspiré Joyce Carol Oates pour imaginer la fausse couche de Marilyn Monroe, qui perd son enfant en chutant mystérieusement d’un escalier dans Blonde, sa biographie fictive ?
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Diana, un point aveugle
Tout au long du documentaire, Diana ne cesse de décrire son époux comme une sorte de grand enfant. Si elle considère qu’elle était elle-même très immature au début de leur mariage, Charles, selon les termes d’Elizabeth II, est “irrécupérable”. Il n’a jamais cessé de voir la femme dont il avait réellement besoin, Camilla Parker-Bowles, et n’a jamais voulu comprendre le point de vue de sa femme. Pour lui, le mariage semble dès le départ n’être rien d’autre qu’une sorte de contrat. Il aura une phrase terrible, reprise telle quelle dans The Crown, lorsqu’un journaliste, le jour de leurs fiançailles, ose dire qu’ils ont l’air très amoureux. De façon abrupte, il répond du tac au tac : “Tout dépend de ce que vous entendez par le mot ‘amour’.”
Diana, en tant qu’individu, est un point aveugle pour la presse et son mari. Il s’agit en quelque sorte d’un malentendu général. Le Prince Charles semble ne pas voir en 1981 qu’il est sur le point d’épouser une (très) jeune femme naïve et romantique, après seulement treize rendez-vous en tête-à-tête sous les flashs des paparazzis. Il ne voit pas l’espoir, puis le désespoir de sa future épouse lorsque celle-ci comprend qu’elle est trompée. Il l’emmène à l’autel dans un total aveuglement, tandis qu’elle se sent “comme un agneau qu’on mène à l’abattoir”. De même, les médias ne voient que l’image d’une jeune femme ayant désormais de nombreuses jolies toilettes, et qui a perdu du poids à l’approche de son mariage.
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L’image de l’authenticité
Elle incarne une image qui la dépasse, celle d’un couple nécessairement heureux. Elle a, pour donner le change, cette capacité de toujours paraître “parfaitement joyeuse” en toutes circonstances. Un talent de comédienne qu’elle dit tenir de sa mère… On le voit très bien dans ce documentaire : plus elle rayonne sur ces images d’archives, plus le mal-être qu’elle évoque en voix off est grand. Elle partage avec Marilyn Monroe cet étrange paradoxe qui est de savoir jouer l’authenticité. Dans le monde entier, on vante son naturel, sa spontanéité, sa fraîcheur. Lorsqu’elle se rend dans un hôpital et visite un enfant atteint du sida, elle le prend dans ses bras sans réfléchir. D’une générosité et d’une empathie instinctives, elle se donne à son public sans retenue et paraît éternellement épanouie.
Alors, oui parfois, la boulimie a des conséquences sur sa santé qu’elle ne peut maîtriser. Un jour, lors d’une visite officielle, la Princesse s’effondre aux yeux de tous. Et le Prince, immédiatement, en veut à la Princesse de toujours attirer l’attention sur elle, d’être faible et de le montrer. Quand elle ne s’évanouit pas pour cause de dénutrition, elle le surprend en dansant pour lui sur le rythme d’Uptown Girl devant le public du Royal Opera House, à Londres. Et c’est tout aussi scandaleux pour Charles qui, de façon générale, ne supporte pas que sa femme attire autant l’attention du public et aime se mettre en scène. Ce regard anonyme et omniprésent que la foule porte sur elle devient avec le temps source de jalousie. Comment le potentiel futur Roi d’Angleterre pourrait-il être un homme dans l’ombre de sa femme ?
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Une persona hors du commun
Plus la popularité de Lady Di grandit, plus le mariage royal s’effondre. Et moins elle parvient à dissimuler ses faiblesses, plus le public… l’adore. Le grand retournement de situation vient de là, de cette étonnante réaction populaire. Le mythe de Marilyn Monroe, précisément, est passé par là. Tout le monde se souvient de la star et de sa mort si brutale, en 1962, causée par un excès (volontaire ?) de barbituriques. Sa disparition dans de tragiques circonstances a révélé d’un seul coup au monde entier l’incroyable malentendu. Plus l’actrice souriait sur les photos, plus elle cherchait l’amour et la reconnaissance de la foule anonyme, plus elle souffrait en secret dans l’obscurité de sa vie privée.
Le fait que la Couronne n’ait pas su prévoir cette fascination des Anglais pour le sort d’une jeune princesse en détresse prouve à quel point elle n’a pas su évoluer avec son temps. Selon la tradition monarchique, il faut que les représentants de la royauté soient solides comme des rocs. L’apparence de stabilité est finalement la seule raison d’être de la Reine. Elle incarne l’ordre et l’une de ses armes politiques réside dans sa capacité à conserver l’image de cette abstraction. Donc, logiquement, le premier réflexe est de cacher ce qui contrevient à cette image rassurante de la Couronne. La solution ? Le Valium.
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D’un mariage arrangé naît une icône de la modernité
On gave Diana d’anxiolytiques car mieux vaut que la Princesse de Galles dorme trop plutôt qu’elle n’aille “poignarder quelqu’un”. Avec le temps, son malheur devient un secret de Polichinelle. Les tabloïds ont vent des fréquentes disputes du couple royal et parlent de divorce. En Une des journaux à scandale s’affichent les statistiques prouvant l’évidence : ils ne se voient plus qu’une fois par mois, en public. Charles préfère vivre dans sa résidence de campagne du Gloucestershire, non loin de chez Camilla Parker-Bowles, tandis que Diana passe la plupart de son temps dans leur demeure londonienne, le palais de Kensington.
Diana gagne confiance en elle. Elle se défait de son trouble alimentaire, travaille beaucoup et bien, se fait aider par une psychiatre et fricote avec d’autres hommes. Son coiffeur lui propose une coupe plus courte, plus affirmée. Selon sa propre expression, Diana se fait “soldat”. Elle prend le contrôle de son image, dont elle a appris le pouvoir avec les années, et se lance dans une véritable campagne médiatique. De victime d’un mariage arrangé, elle devient conquérante et parvient à conserver toute la sympathie du public. Jamais la Couronne n’aurait pu imaginer la puissance d’un procédé aussi simple que l’identification. Plus humaine que jamais, Diana est acclamée par les Américains lors de ses visites officielles dans des lieux où même les politiques locaux ne mettent jamais les pieds.
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Symbole d’une époque
Diana s’émancipe de la famille royale en partageant ses faiblesses avec le monde et en humanisant son image. En 1992 sort enfin sa biographie signée Andrew Morton, inspirée par le contenu de ces fameux enregistrements secrets. Elle s’est livrée sans filtres et Lady Di n’aurait pas pu être davantage populaire. En 1993, plusieurs discours confirment ce basculement : elle parle honnêtement et avec émotion de la surmédiatisation dont elle a souffert, elle évoque sans détours ses troubles alimentaires pour sensibiliser les gens à une maladie encore taboue… Tout en ne manquant pas, à chaque prise de parole, d’exprimer son amour pour ce public anonyme qui l’a “soutenue” dans les “pires moments” de son mariage.
Contrairement à Marilyn Monroe, Diana Spencer aura eu le temps de mettre elle-même fin au malentendu, d’entrer de son plein gré dans la lumière et de se faire icône. Sa mort dans un accident de voiture, en 1997, ne fera que propulser son image au firmament de la pop culture. Figure emblématique d’une époque, Diana incarne aussi un basculement dans l’histoire de la féminité. De par son histoire personnelle et son travail en tant que Princesse, elle en est venue à symboliser des valeurs proprement modernes. En transformant ses faiblesses en force, Diana s’est fait l’héroïne de toute une génération.
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