Un regard fin et sensible sur le rapport qu’une ado entretient avec le Portugal, pays d’origine de ses parents. Le retour d’une cinéaste depuis trop longtemps absente des écrans.
Laurence Ferreira Barbosa (LFB) a connu un succès certain dans les années 1990, avec des films (aux titres assez merveilleux) où elle chopait l’air du temps : Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel (où l’on découvrait Valeria Bruni Tedeschi, en 1993) ou J’ai horreur de l’amour (en 1997, l’un des meilleurs films de la délicieuse Jeanne Balibar). Et puis le cinéma s’était un peu éloigné d’elle… ou le contraire. Voilà presque dix ans qu’elle n’avait pas tourné et son nouveau film témoigne d’une belle vitalité, d’une inspiration retrouvée, sans esbroufe.
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Il est sans doute un peu facile d’en trouver une des raisons : pour la première fois dans sa filmographie, LFB y parle du Portugal et des Portugais immigrés en France. Un sujet dont on s’étonne qu’il ait rarement été traité au cinéma (sinon sous forme caricaturale dans La Cage dorée de Ruben Alves), alors que l’immigration lusitanienne est très importante dans l’Hexagone. A partir de la fin des années 1950, pour des raisons politiques (la dictature de Salazar) et économiques (la misère), le nombre de Portugais en France est passé de 20 000 (1958) à 750 000 (1975).
Le film de LFB n’est pas sociologique. Il raconte l’histoire de Paméla (la jeune Paméla Ramos, révélation du film), une ado de la deuxième génération. Paméla adore le Portugal, mais que faire de cette origine ? Pas pétasse pour un sou, elle aime le piano et le patinage artistique, et connaît les affres de la révélation de l’amour. Par l’une de ses amies, elle va découvrir un visage plus inquiétant du Portugal, très dur, et se poser des questions sur l’avenir qu’elle envisage, partagée entre deux pays. Sans mettre de grands mots sur son malaise.
La réussite du film tient à ce qu’il ne caricature pas ses personnages et ne les enferme pas dans une posture. Oui, il décrit l’attachement de Portugais à leur pays (sur un versant souvent folklorique, culturel, alimentaire), mais aussi leur satisfaction de ne pas y vivre… Il décrit, en tout cas pour le spectateur français, un déchirement pacifié qui permet de regarder les choses avec distance, objectivité, sans polémique. Même si un jeune homme exprime à un moment son rejet de ses origines, contre les Portugais de France à qui il reproche d’être des “travailleurs soumis”. Mais si le film ne répond pas vraiment à sa question, il ne l’évite pas.
Quand Paméla explique qu’elle va aller à Lisbonne, ses parents s’en étonnent : quelle idée ! Eux-mêmes n’y sont jamais allés et ne voient pas quel intérêt ce voyage peut avoir. Les immigrés portugais étaient en majorité des gens des campagnes. Ce que décrit à merveille Tous les rêves du monde – avec tendresse, sans méchanceté mais avec parfois cruauté, avec réalisme sans doute –, ce sont des parents qui ont su s’adapter à la France pour survivre, sans jamais vraiment s’y intégrer (ils gardent leurs traditions, leur langue, leur idéologie assez conservatrice) et des enfants qui aujourd’hui aimeraient avoir un autre rapport que familial, économique ou nostalgique, à un pays qu’ils souhaitent connaître un peu mieux que leurs parents et envisager autrement (plus ouvert), politiquement et culturellement. Paméla incarne cette jeunesse avec fantaisie, tristesse et espoir d’un monde meilleur.
Tous les rêves du monde n’est pas un film qui cherche à impressionner, mais à montrer. C’est un film populaire, malicieux, fin, qui met ses personnages au cœur du film et se penche sur eux avec un regard à la fois curieux, analytique, précis et compréhensif. Intelligent, sensible et inspiré.
Tous les rêves du monde de Laurence Ferreira Barbosa (Fr., 2017, 1 h 48)
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