Tournée, un manège enchanté.
L’Amérique : il aura fallu que Mathieu Amalric aille par deux fois y plonger son corps d’acteur (une première fois en 2005, dans Munich, une seconde dans Quantum of Solace, en 2008) pour être en mesure, enfin, de réaliser ce quatrième film, éblouissant, qu’il ne cessait de repousser depuis des années.
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Lauréat d’un Prix de la mise en scène ultramérité au dernier Festival de Cannes, Tournée raconte le retour aux pays d’un producteur prodigue, Joachim Zand, accompagné par une troupe de danseuses américaines dont il a booké le spectacle dans plusieurs villes portuaires de province (Le Havre, La Rochelle, Bordeaux…).
Tandis que les filles se plaignent de ne voir de la France que les hôtels Mercure et les parkings tristes des cabarets, Zand apprend la probable annulation de leur représentation parisienne. Colère et désarroi, il va lui falloir trouver une solution de repli, quitte à devoir, pour cela, rouvrir de vieilles plaies…
néons & moustache
“Eblouissant” est bien le premier mot pour décrire Tournée : éblouissant comme la lumière des néons qui composent le générique de début, au son des Sonics (la chanson s’intitule Have Love Will Travel : tout est déjà dit) ; éblouissant comme les prestations scéniques des show girls (and boy) s’adonnant au New Burlesque, ce mélange torride de strip-tease et de clownerie, d’incandescence sexy et de grotesque fellinien ; éblouissant, enfin, comme l’interprétation sans faute de Mathieu Amalric, qui s’offre là l’un de ses plus beaux rôles, celui d’un producteur affublé d’une moustache et d’un costume de velours, inspiré de Paulo Branco, le producteur-flibustier d’Oliveira, Akerman, Honoré, Ruiz et tant d’autres, dont il fut l’assistant étant jeune, et de Cosmo Vittelli, le héros de Meurtre d’un bookmaker chinois de John Cassavetes.
Difficile ainsi de ne pas penser au film de Cassavetes lorsque Joachim Zand, parti seul en mission à Paris, appelle son régisseur pour s’assurer que tout va bien ; ou lorsque, sentant les événements lui échapper, il en appelle au rassemblement en prenant le micro du cabaret.
Amalric a su saisir dans ce personnage aux abois, embarqué dans une constante fuite en avant, toute la mélancolie des rêveurs, leur incapacité à patauger dans la médiocrité du monde tel qu’il va.
Que ce soit dans un hall d’hôtel, une station-essence, un Buffalo Grill ou un bar-PMU, c’est toujours la même obsession à enchanter le réel, à lui redonner le lustre dont le poids des conventions l’a privé.
jouissance & noirceur
Le lustre, en l’occurrence, c’est l’Amérique, sa langue, ses récits mythologiques, son vertige glamour, le sex-appeal de ses danseuses au corps hors norme qu’on pourrait regarder bien plus. Mimi Le Meaux, Kitten on the Keys, Julie Atlas Muz, Dirty Martini (sans oublier l’homme de la bande, Roky Roulette) : écrire leur nom, c’est déjà raconter l’histoire de paradis perdus auxquels Amalric-Zand ne cesse de vouloir se raccrocher.
Le spectacle aspire tout, consume tout et l’on se demande, jusqu’à preuve du contraire, si la moustache du producteur n’est pas un accessoire de plus, pour se donner l’air, un postiche identique à ceux que les girls se collent sur les tétons.
Mais il arrive aussi parfois que le réel résiste, refuse de s’enivrer, et c’est dans la cruauté révélée des rapports entre le show et la vie que le film décolle, se teinte d’une belle noirceur – sauf peut-être dans la scène du supermarché, trop démonstrative et par là ratée.
Tournée est ainsi une ode à la jouissance, à la vitesse et à la fiction. Qu’importe que le refrain soit connu : on l’aura rarement chanté avec une telle ardeur.
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