Cinéaste et romancier, Christophe Honoré vient d’achever son troisième long métrage. Visite sur le tournage, alors que Romain Duris et Joana Preiss sont sur le plateau.
Le film s’appelle Dans Paris, et pourtant l’action se déroule à presque une heure de la capitale, dans un petit village de la vallée de Chevreuse. C’est là, dans une grande maison bourgeoise, qui ne déparerait pas dans un Chabrol seventies, que Christophe Honoré termine le tournage de son troisième long métrage. Le cinéaste y retrouve Romain Duris (quatre ans après 17 fois Cécile Cassard, dans lequel le jeune comédien révélait une sensibilité et une audace qu’on ne lui connaissait pas) et deux des comédiens de son second long métrage, Ma mère (2004) : Louis Garrel et Joana Preiss.
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Romain Duris interprète Paul, un trentenaire qui a quitté Paris pour s’installer avec sa compagne et le fils de celle-ci dans un petit bled isolé. Mais le couple se défait et Paul revient dans le nid qu’il avait quitté, une famille d’hommes constituée de son jeune frère (Louis Garrel) et d’un père, à la fois maternel et bougon, interprété par Guy Marchand. Une histoire de famille et de frères, donc, comme celles que Christophe Honoré raconte dans ses romans (le dernier, Le Livre pour enfants, est sorti l’automne dernier). Mais une histoire habitée par d’autres livres, des lectures de son auteur (qui, pour son précédent film, avait adapté George Bataille), et une en particulier : Franny et Zooey de J. D. Salinger, autre histoire d’enfants un peu trop grands pour vivre chez leurs parents, dont s’était déjà inspiré Wes Anderson pour La Famille Tenenbaum.
Ce mardi 14 février, avant-dernier jour de tournage, l’équipe travaille sur une scène du début du film, avec seulement deux comédiens, Joana Preiss et Romain Duris. La scène débute comme un jeu érotique et dégénère en drame conjugal. Assis sur un canapé, Paul lit un recueil de poèmes de Richard Brautigan. Son épouse, Anna, met un disque du groupe belge Girls In Hawaii, et esquisse une chorégraphie sensuelle qui appelle l’échange amoureux. Mutine, elle se faufile près de lui jusqu’à perturber sa lecture. Mais très vite, il la rejette, devient presque violent, et chacun en vient à faire à l’autre des reproches virulents, au point d’envisager l’imminence d’une séparation.
Dans sa robe bleu électrique, Joana Preiss (qu’on a vue dans Clean d’Olivier Assayas et Un couple parfait de Nobuhiro Suwa, mais qui est aussi mannequin et modèle de Nan Goldin ou d’Ugo Rondinone) demande essentiellement comment elle doit se placer, par quel enchaînement de gestes elle doit traverser la pièce et s’enrouler autour de Romain Duris. Lequel est davantage curieux d’indications psychologiques, demande au réalisateur son sentiment sur l’intériorité du personnage, ce qui traverse son esprit à ce moment-là. Entre chaque prise, Christophe Honoré rejoint ses comédiens pour leur parler à voix basse et se montre d’une extrême précision sur les intonations de voix et les gestes qu’il attend d’eux. « Je voudrais que la scène soit plus âpre, plus gênante », leur dit-il, avant de mimer la façon dont il souhaite qu’ils se tiennent, se touchent ou se repoussent. Les comédiens reprennent, instillant plus de violence dans le badinage amoureux du début, et davantage de proximité physique et de gestes de tendresse dans les scènes d’affrontement.
Le budget serré du film (produit par Paulo Branco sans autre chaîne que Canal+) implique de travailler vite (pas plus de quatre ou cinq prises par plan). La lumière est signée Jean-Louis Vialard, collaborateur de Pierre Huyghe et d’Apichatpong Weerasethakul sur Tropical Malady. Le film est marqué par un code visuel très années 70. « Je voulais filmer l’hiver en m’interdisant les dominantes bleues, qui me semblent un peu trop automatiques pour exprimer cette saison. Le film est dominé par des nuanciers de marron, de rouille », raconte le réalisateur. Les années 70 renvoient également à une lignée de cinéma français, incarnée aussi par les comédiens qui jouent les parents : Guy Marchand (choisi davantage pour sa mémorable interprétation de mari trompé dans Loulou de Pialat que pour ses prestations en Nestor Burma) et Marie-France Pisier, égérie truffaldienne, qui traverse le film le temps d’une scène dans le rôle de la mère trop absente.
Christophe Honoré débute désormais le montage, pour une durée de dix semaines. Nul ne sait encore si le film sera prêt pour Cannes. Il devrait en tout cas sortir en salle au début de l’automne prochain.
Jean-Marc Lalanne
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