Entre concentré de glamour hollywoodien et films de fantômes européens, la 41e édition du Festival international du film de Toronto offre des pistes prometteuses et éclipse la Mostra de Venise par sa programmation de qualité, à défaut d’être originale.
Notre critique Serge Kaganski s’en est largement expliqué, ici, ici ou ici : la Mostra de Venise n’a pas tenu son rang cette année, offrant du coup un boulevard à son grand concurrent canadien, le Tiff (Toronto International Film Festival), qui s’est ouvert vendredi dernier et conforte ainsi sa place parmi les grands. Grands à qui il emprunte toutefois une part conséquente de sa sélection pléthorique (plusieurs centaines de films répartis dans une vingtaine de programmes).
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Des Américains haute-couture
Avant d’évoquer, dans les prochains jours, les inédits vus à Toronto, mentionnons d’abord deux films américains dévoilés à Venise, mais malheureusement ratés par notre cher confrère qui, s’ils les avaient vus, aurait peut-être réévalué à la hausse son appréciation du festival vénitien : La La Land et Nocturnal Animals (qui a traversé l’Atlantique auréolé d’un Lion d’argent).
Le premier, on vous l’annonce, est le film du festival – il l’était de toute façon avant même d’être montré. Mieux, il sera probablement, pour beaucoup, le film de l’année. On peut d’ailleurs lui prédire sans prendre trop de risques une razzia aux oscars, des centaines de millions de dollars au box-office et un statut de classique immédiat. Il fallait entendre les cris et les applaudissements dans la salle, tout au long de la projection, pour saisir ce qui se joue là. C’est simple, avec La La Land, Damien Chazelle a réalisé le film que tout le monde a envie de faire, de voir et d’aimer : une comédie musicale à la Fred Astaire, avec les deux acteurs les plus hot du moment (Ryan Gosling et Emma Stone), dans la ville la plus cool du monde (Los Angeles, que personne n’avait aussi bien filmé depuis des années).
Seulement voilà, au risque de passer pour un rabat-joie, le film, malgré toutes ses qualités, nous a laissés quelque peu de marbre. Dans son premier long-métrage, l’acclamé Whiplash, Chazelle racontait la quête absurde du geste parfait pour un batteur de jazz. Absurde parce que le génie réside dans la gestion de l’imperfection. Et s’il réalise ici un film impeccable et implacable, il lui manque ce grain de folie, cette capacité à déborder des lignes qui font les authentiques chefs d’oeuvre, plutôt que les brillants pastiches.
Tout aussi brillant, et problématique, Nocturnal Animals est le second long-métrage de Tom Ford, grand couturier qui avait signé il y a sept ans le somptueux A Single Man. Intriquant avec virtuosité deux récits parallèles – un mélo conjugal d’un côté (avec Amy Adams, dont le jeu s’alourdit à chaque film, et l’excellent Armie Hammer), un rape and revenge de l’autre (avec Jake Gyllenhaal et Michael Shannon, ultra cabotins) – Nocturnal Animals pourrait n’être qu’un alignement de plans chiadés et de poncifs sur le couple. Mais l’on comprend au fur et à mesure que le cinéaste a en fait besoin de cette beauté vénéneuse pour proposer, in fine, une méditation sur la brûlure indélébile du sentiment amoureux et la vanité de toute revanche. Aussi, en dépit de son apparat un peu trop voyant, ce film reste lui aussi indélébile.
Des Français en quête de fantômes
La figure du fantôme semble cette année planer au dessus de la tête des cinéastes français, ou à défaut les cinéastes travaillant en France, puisque Rebecca Zlotowski (Planétarium), Kiyoshi Kurosawa (Le secret de la chambre noire) et Olivier Assayas (Personnal Shopper) la déploient tous trois à Toronto. Trois films en réalité bi-nationaux, tournés soit vers les Etats-Unis soit vers le Japon, comme si les fantômes appelaient une projection hors nos frontières… Nous ne reviendrons pas sur le troisième, déjà débattu à Cannes, si ce n’est pour noter qu’Assayas est, sans surprise, le plus avide de contemporanéité, faisant résonner ses ectoplasmes avec les écrans tactiles des IPhones.
Kurosawa, de son côté, se plonge avec son casting français (Tahar Rahim, Constance Rousseau et Olivier Gourmet) dans les origines de la photographie, à savoir les daguerréotypes, pour y percer le mystère de l’incarnation et y trouver, peut-être, des fantômes. « Pourquoi diable Le Secret de la chambre noire n’a-t-il pas été sélectionné à Cannes ? », se demande-t-on pendant une première heure d’une tenue exceptionnelle, où Kurosawa construit patiemment ce qu’on pressent être un chef d’oeuvre.
Puis, dans une seconde partie, il suit une étrange piste (très franco-française, une histoire d’immobilier vraiment pas excitante) mais tient malgré tout son film à la seule force de sa mise en scène, quand tout le reste, jeu, scénario, se désagrège petit à petit. Mais de façon incompréhensible, il conclue par un plan sarcastique, véritable suicide, détruisant d’un seul coup d’un seul tout ce qu’il a érigé deux heures durant, à la sueur de ses mains : de la croyance. On en reste abasourdi, et très déçu.
Enfin, également présenté à Venise, Planétarium de Rebecca Zlotowski est un autre de ces films qui irradient la rétine bien après que soit achevée leur projection. Pour son troisième long-métrage, la réalisatrice fait preuve d’une folle ambition : à travers la rencontre entre deux jeunes sœurs américaines, médium de leur état (Natalie Portman et Lily Rose Depp), et un producteur fantasque (Emmanuel Salinger, qu’on se fait une joie immense de revoir dans ce rôle charismatique), elle entend raconter la déliquescence morale de la France des années 30, et offrir dans le même temps une réflexion sur la capacité du cinéma à filmer les morts.
Scénariste de formation, Zlotowski lâche ici volontairement du lest narratif pour construire un film impressionniste, fait de fulgurances et de relâchements, de trouble et de nappes sensitives. Et ce qu’elle perd en clarté, elle le gagne, au centuple, en émotion. Le film sort en novembre, on en reparle vite.
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