La mort lui va si bien. Topper, une comédie de 1937 à redécouvrir d’urgence, démontre une fois de plus le génie de Cary Grant, capable à lui seul de pallier les insuffisances d’une réalisation terne. La rareté de la semaine, du mois, de l’année… Mais bien au-delà de son statut de film oublié pour abonnés […]
La mort lui va si bien. Topper, une comédie de 1937 à redécouvrir d’urgence, démontre une fois de plus le génie de Cary Grant, capable à lui seul de pallier les insuffisances d’une réalisation terne.
La rareté de la semaine, du mois, de l’année… Mais bien au-delà de son statut de film oublié pour abonnés à Ciné Cinéfil, ce Topper (oublions le titre français, Le Couple invisible, par trop banal) de 1937 est une excellente surprise et une vraie découverte, un de ces purs plaisirs cinéphiliques comme seul Paris (et le tandem de distributeurs-exploitants Causse/Rodon) sait encore en offrir. Enorme succès commercial en Amérique lors de sa sortie, avant de devenir un « classique » pour la télévision et une innocente victime de la colorisation chère à Ted Turner, le film jouit en France d’une piètre réputation critique. Dans leur somme consacrée au cinéma américain (50 ans de cinéma américain, Nathan), Tavernier et Coursodon font la fine bouche et méprisent ce pauvre Norman Z. McLeod (Z pour Zenon, ça ne s’invente pas) ; Gérard Legrand fait de même dans « le Passek » (Larousse) et Olivier-René Veillon (Le Cinéma américain, les années 30, Points-Seuil) l’ignore carrément. Fort de ses souvenirs de réalisations médiocres pour les Marx Brothers (Monnaie de singe, Plumes de cheval), on fera confiance à nos chers érudits : Norman Zenon McLeod n’est pas un grand metteur en scène, loin s’en faut. Il n’empêche, Topper est un film charmant et drôle. Et si rien n’interdit de le rêver plus grand encore, pris en main par un McCarey ou un Hawks, ses attraits bancals suffisent à nous séduire.
D’abord et avant tout, il y a Cary Grant. Un Cary Grant qui vient de tourner Cette sacrée vérité de McCarey et qui va enchaîner avec L’Impossible Monsieur Bébé, un Cary Grant en très grande forme donc. Dans la première scène, il conduit une voiture avec ses pieds tout en buvant du champagne, et expose ainsi sa conception de l’existence. Avec son épouse (Constance Bennett, toute de vivacité gentiment délurée), ils forment un couple à la Scott et Zelda. Leur nuit est tendre, encore jeune, elle exige d’être prolongée dans quelques dancings. Après la fête, ils se garent devant la banque dont Cary est le principal actionnaire, pour être sûrs de ne pas rater le conseil d’administration présidé par le très morne mister Topper. Topper est un adulte, Cary et Constance sont des enfants. Et comme les enfants aiment jouer avec le feu (et leurs pieds…), ils finissent par avoir un accident de voiture, meurent sur le coup et deviennent de gentils fantômes. Leur première bonne action sera de s’occuper de Topper, de lui ôter toute sa grisaille pour qu’il s’amuse enfin : un banquier sadisé par sa femme et son domestique, deux fantômes en bas âge, des tas de possibilités de s’amuser. Le film les décline toutes, avec un enthousiasme pataud mais communicatif.
Et pourtant, la mise en scène de McLeod est plate à pleurer. D’ailleurs, ce n’est pas lui qui s’en charge, c’est Cary. Il imprime au film son rythme propre, lui impose sa manière unique de mimer l’étonnement ou l’impatience. Grant est un acteur qui ne connaît pas la certitude sauf quand il est mauvais, cas très rare, comme dans le faible Cas de conscience de Richard Brooks, récemment diffusé au Cinéma de minuit et son visage ne cesse d’afficher toutes les variations de l’infini scepticisme. Son seul ennemi, c’est l’ennui. Son personnage s’amusait vivant, il s’amusera encore plus maintenant qu’il est réduit à l’état de spectre. La mort n’est pas un drame, il suffit d’apprendre les règles du nouveau jeu. Et un Cary Grant rendu transparent et invisible à volonté use en expert de ses nouvelles ressources comiques. Il en profite pour élargir encore sa palette. C’est irrésistible.
D’autant plus que Constance Bennett et Roland Young (Topper) suivent le mouvement, ils se laissent porter par le même vent de folie. Ainsi, Topper est un film qui semble échapper peu à peu à tout contrôle pour devenir une machine emballée, un bateau ivre qui tangue beaucoup mais ne coule jamais. Si tout devient soudain permis, il s’agit d’en profiter au maximum. D’où ce ton leste, grivois parfois, jusqu’au gag proprement hallucinant de la culotte (nous sommes en 37, rappelons-le), volée au magasin Juliette (en français dans le texte), et que madame Topper se résoudra à porter pour récupérer son débauché de mari. On se frotte les yeux pour oser y croire. De l’effet de Cary Grant sur le cinéma de Norman Z. McLeod… Après le triomphe, Hal Roach, le producteur, donnera deux suites à Topper. Dans la première (Topper takes a trip), Cary, devenu trop cher, sera remplacé par un chien ! Tant d’ingratitude laisse sans voix.
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