Dix comédies des années 2010 qui allient le rire, la sophistication et la patte auteuriste, à l’image de « Victoria » de Justine Triet actuellement sur les écrans
On a coutume de penser que la comédie française est presque toujours synonyme de débouché paresseux pour comiques télévisuels célèbres, au mieux, ou de beauferie navrante, au pire. C’est exact, mais en partie seulement. Le cinéma français ne produit pas que des Tuche 2, des Camping 3 ou des Bronzés 8 et se montre souvent capable d’allier rire et finesse, golri et sophistication, poilade et inventivité, marrade et respect du spectateur, humour et univers singulier. En voici dix exemples (auxquels on aurait pu ajouter les films de Pascal Chaumeil, Géraldine Nakache, Emmanuel Mouret, Solveig Anspach, Albert Dupontel, Kervern et Delépine, Riad Sattouf, Alain Resnais, Michel Gondry, Thomas Cailley, Pascal Bonitzer, Agnès Jaoui…).
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Potiche de François Ozon (2010)
On y retrouve Catherine Deneuve en bourgeoise social-dem’, Gérard Depardieu en syndicaliste communiste pur et rouge, Fabrice Luchini en patron sarkozyste « plus Medef tu votes pour la loi des 50h ». Cette mise en boite de la politique française se pare de couleurs pastels et d’ironie légère. On n’oublie pas Deneuve faisant son jogging en survêt’ Adidas sous le regard d’Ozon, auteur d’autres comédies sophistiquées comme 8 femmes ou Dans la maison.
Le Skylab de Julie Delpy (2011)
Comédie familiale foutraque, déjantée, volontiers triviale, sexuelle, scato, dans laquelle la réalisatrice fait jouer sa propre famille. Cet univers drolatiquement déréglé est celui de Delpy, multirécidiviste de comédies désopilantes et ultra-personelles (Two Days in Paris, Two Days in NY, etc.).
Je suis un no man’s land de Thierry Jousse (2011)
Ancien critique de cinéma et rédacteur en chef des Cahiers, Thierry Jousse déploie son univers lunaire, poétique, incongru, à la fois ancré dans le terroir provincial et légèrement surréel. Un comique tout en élégance et finesse qui doit aussi beaucoup à la personnalité de ses interprètes, les one and only Philippe Katerine et Julie Depardieu.
Adieu Berthe de Bruno Podalydès (2012)
Bien connu depuis Versailles rive gauche, l’univers de Podalydès est à la fois loufoque, élégant, extrêmement bien ciselé dans ses dialogues et situations, teinté de mélancolie, enveloppé dans de beau écrins formels. Dans ce film comme dans le plus récent Comme un avion, Podalydès démontre que le rire n’est pas une injonction permanente du lol mitraillette, qu’il n’exclut ni les pauses tendres ou poétiques, ni un certain degré d’élaboration stylistique.
Wrong de Quentin Dupieux (2012)
Le rire selon Dupieux est sans doute le plus singulier, le plus grinçant, le plus absurde du moment. Fondé sur une exagération des codes et clichés du cinéma poussés jusqu’au nonsense, il s’allie à une tenue formelle extrêmement rigoureuse, parfois jusqu’à l’asphixie formaliste, comme dans Réalité, film tellement brillamment conceptuel qu’il en devient inquiétant.
La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko (2013)
Un des chefs de file de la dite « nouvelle génération » d’auteurs de comédie (avec Bozon, Triet, Betbeder…), qui se distingue par son humour à la fois très burlesque et très politique. Peretjatko y déploie toutes les ressources des corps de ses acteurs et actrices, un sens consommé de l’absurde vu comme le réel poussé au bout de sa logique, assortis d’une critique cinglante et désopilante des décisions les plus décourageantes de nos leaders politiques. Le cinéaste a poursuivi cet alliage gagnant dans le tout aussi réussi La Loi de la jungle.
Tip Top de Serge Bozon (2013)
Une comédie aussi hilarante que malaisante, dans laquelle Isabelle Huppert prend des gnons de son compagnon et aime ça (jusqu’à lapper une goutte de sang perlant de son nez – image forte), alors que François Damiens entame le film en balançant une diatribe raciste dans un café arabe. Bien entendu, rire et malaise sont ici noués pour dénouer justement les préjugés de la frange raciste de notre pays tout autant que les présupposés du politiquement correct. Avec Dupieux, mais dans un tout autre style, Bozon est sans doute le cinéaste le plus singulier et imprévisible de notre panel. Et aussi l’un des plus drôles.
La Bataille de Solférino de Justine Triet (2013)
Avant son Victoria digne des comédies américaines de l’âge d’or, Triet avait inauguré sa filmo avec cette grenade dégoupillée, où le rire, le conflit, la tension, le flip se tiennent constamment la main dans une course effrénée en direct live le jour même de l’élection présidentielle 2012 (qui figure réellement dans le film). Film drolatique, inquiétant, épuisant, surprenant (la dernière demie-heure comme une longue gueule de bois imprévisible) par lequel la Triet signait son entrée fumante en cinéma.
L’Enlèvement de Michel Houellebecq de Guillaume Nicloux (2014)
Dans ce film directement diffusé à la télé sans passer par la case salle de cinéma, l’écrivain star est rapté par une bande de ravisseurs assez farfelue et presque sympathique. C’est une fiction, bien sûr, mais Houellebecq y semble plus vrai que nature, brouillant la frontière entre sa personne et son personnage. Il est par ailleurs un comique né, suscitant le rire quasiment en se contentant d’être présent devant la caméra, sans en rajouter des tonnes. Même si Nicloux est aux manettes, en gardant l’élégance de juste bien capter son sujet, lui aussi sans en rajouter, le véritable centre névralgique de ce film, c’est Houellebecq.
21 nuits avec Pattie de Arnaud et Jean-Marie Larrieu (2015)
Avec les frères Larrieu aussi, le rire s’allie à un univers fantasque, singulier, flirtant avec les frontières du fantastique et des légendes ancestrales. Avec eux, l’humour a souvent partie liée avec le sexe : ainsi de Peindre ou faire l’amour, de Voyage aux Pyrénées, ou de ce film axé sur la confrontation entre une Isabelle Carrée abstinente et frigide et une Karin Viard transformée en moulin à paroles égrillardes. Sans oublier un Denis Lavant impayable en satyre local. Chez les Larrieu, le sexe est joyeux, solaire, et l’humour est volontiers trivial, paillard, mais jamais vulgaire, jamais condescendant pour ses personnages ou ses spectateurs. Toute la différence avec les grosses machines beaufs qui ne contribuent pas à l’honneur de notre cinéma.
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