Un petit essai critique analyse avec brio la façon dont l’acteur est devenu la forme absolument matricielle du spectaculaire hollywoodien.
Des vies au pluriel, plutôt qu’une seule, biologique, biographique. On ne trouvera pas, dans Les Vies de Tom Cruise, la généalogie de sa relation à l’Eglise de scientologie ni de révélations sur son intimité sexuelle. L’investigation très sourcilleuse que mène Louis Blanchot, talentueux critique officiant à Chronic’art, se concentre sur les aventures d’une forme. La forme Tom Cruise, absolument matricielle du spectaculaire hollywoodien de ces trente dernières années, fabrique très performante d’un genre, le Tom Cruise movie, qui a rénové le cinéma d’action.
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Un système formel donc, dont Louis Blanchot inventorie avec un lyrisme exalté les procédures, faites d’apparitions/disparitions, glissements entre les plans, labilité totale (jusqu’à ce que Night and Day nuance de malice cet art de l’éclipse : “droguée par Roy (…), Cameron Diaz ne verra plus l’action que par flashes épars. (…) Cruise y apparaît comme par magie dans le cadre puis s’évanouit à la faveur de la moindre collure”).
L’étrange “séduction sans érotisme” de ce “sex-symbol chaste”
Tom Cruise opérateur de mise en scène donc, mais aussi fabrique de motifs et de thèmes qui égrènent toute l’œuvre : conflit schizo entre le goût de l’absolu contrôle et celui de l’insoumission (Taps, Top Gun, La Couleur de l’argent, où le jeune chien fou se fait dresser en douceur) ; la mutilation (d’abord du corps, chez Oliver Stone, puis du visage, de Vanilla Sky à Minority Report) ; la résurrection (d’où le pluriel du titre de l’essai)…
L’auteur trouve des formules d’une grande congruence pour dire l’étrange “séduction sans érotisme” de ce “sex-symbol chaste”. Blanchot fait d’Eyes Wide Shut un grand commutateur dont l’acteur sortira transformé. A l’issue de “ce programme de défaillance”, le “dérèglement intérieur de Tom Cruise devient le seul sujet de ses films” et chaque cinéaste (après Spielberg, 2002-2005) n’est plus que le simple “copilote d’un ballet métanarcissique”.
Mais loin d’être pointé comme un appauvrissement, ce moment spéculaire de la carrière de Tom Cruise produit dans ce petit essai aussi ramassé que dense une sorte d’ivresse interprétative, une joie de voir un corps humain converti en pur conducteur de cinéma.
Les Vies de Tom Cruise de Louis Blanchot (Capricci), 112 pages, 8,95 €
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