La superstar engage avec ses principaux concurrents estivaux un bras de fer pour projeter le dernier “Mission : Impossible” dans les meilleures salles, ce qui en dit long sur le retour en force du grand spectacle.
La spécialité d’Ethan Hunt, ce n’est pas tellement la préparation : c’est l’improvisation de dernière minute. Pour les héros de Christopher Nolan, ce serait plutôt l’inverse : planification obsessionnelle, maîtrise prométhéenne du temps et du hasard. Le schéma vient de se vérifier au niveau des plans de sortie des deux blockbusters les plus attendus de l’été.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Daté au 12 juillet, Mission: Impossible – Dead Reckoning, pénultième film de la saga portée par Tom Cruise, a mal anticipé son plan de sortie aux États-Unis. En l’état actuel des choses, il ne pourra rester qu’une semaine en salles IMAX. Et pour cause : Oppenheimer, le biopic nucléaire de Nolan, sort le 19 juillet et a bien en amont réservé l’intégralité des écrans nord-américains de ce format pour ses trois premières semaines d’exploitation. Les prouesses de l’agent Hunt devront donc se contenter de salles conventionnelles, avant un hypothétique retour en IMAX passé la mi-août.
Depuis début juin, Cruise assure en personne un lobbying offensif auprès des réseaux de salles afin de remédier à cette fâcheuse situation. Son argument principal : MI7 est promis à un plus grand succès et mérite donc d’être placé en priorité afin de maximiser les recettes de l’industrie dans son ensemble. Oppenheimer n’est d’ailleurs pas sa seule cible : la star fait également du pied à Barbie (aussi daté au 19 juillet) afin de mieux répartir les séances en “premium large format” (PLF), ainsi qu’on nomme l’ensemble des technologies brevetées de projection XXL.
Quelles leçons en tirer ?
Il y a deux leçons à en tirer. La première est que la salle, qu’on disait quasi morte il y a un peu plus d’un an, se prépare à un été de surchauffe concurrentielle inespérée. Que trois locomotives se disputent aussi ardemment le leadership saisonnier et la crème des technologies de projection est un signal retentissant. Il serait injuste pour Cruise de n’y voir que des concours de taille entre garçons. On peut au contraire lui reconnaître le droit à une part décente de ce gâteau, lui qui avait en bon joueur publiquement soutenu la sortie de Tenet. Lui qui a surtout, pour reprendre les mots de Spielberg, “sauvé le cul d’Hollywood, et peut-être bien sauvé la distribution en salles” l’an dernier avec Top Gun: Maverick. Quelle autre star prend aujourd’hui autant à cœur le plan de sortie de son film et livre bataille pour magnifier l’expérience de son public ?
La seconde leçon, c’est qu’il s’agirait de rester vigilant quant au sort fait au Barbie de Gerwig. L’idée qu’il priverait MI7 de salles haut de gamme fait évidemment quelques malheureux, non sans une pointe de misogynie. Or n’a-t-on pas là un pur prototype de blockbuster formaliste ? Porté par une vague de hype inattendue, le film a ces derniers mois réussi à préserver un épais mystère sur son intrigue mais nous a au moins assuré·es de la sophistication de sa direction artistique, née d’un songe où se croisent Jacques Demy, Les Chaussons rouges, Jacques Tati, Toy Story, Desperate Housewives et le modernisme architectural des années 1950.
Il n’y a aucune raison de priver ce travail d’orfèvre d’une projection en majesté, à part une idée étroite et vaguement mascu du grand spectacle en salles. On pourrait croirait que celui-ci cède du terrain, alors qu’il ne fait au contraire que déployer ses ailes au-delà de l’ornière de la pyrotechnie.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 14 juin. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
{"type":"Banniere-Basse"}