Louise Bourgoin très émouvante dans un film fait de légers décalages, de subtiles ellipses et de pointillés.
Dès le titre, une tonalité quelque peu désuète, légèrement étrange : vouvoiement, mots en voie de disparition (mademoiselle), injonction à tiroirs signifiants… Tirer la langue, c’est ce qu’on fait chez le médecin, ou quand on est fatigué. C’est aussi la modalité ancienne du bras (ou doigt) d’honneur.
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Avec ce film, mademoiselle Ropert (déjà auteur de La Famille Wolberg en 2009) entendait peut‑être tirer la langue à un certain cinéma‑produit, un cinéma du pitch et de l’effet qui a toujours quelque chose à vendre au spectateur‑consommateur.
Axelle Ropert n’a rien à vendre, elle entend juste solliciter nos affects les plus enfouis en racontant une histoire avec douceur, précision, humilité (contraire de frime, non d’ambition). Et réussit cette noble entreprise.
Il y a donc bien des médecins au cœur de cette affaire, deux frères qui officient ensemble dans leur cabinet de généralistes du XIIIe arrondissement de Paris. Soignant une enfant diabétique, ils font connaissance de la mère et chacun en tombe amoureux, à l’insu de l’autre.
Deux frères médecins qui reçoivent en doublette leurs patients, c’est peu commun. Ils ne sont pas jumeaux mais aussi dissemblables que peuvent l’être Cédric Kahn et Laurent Stocker (excellents tous les deux). Ils ne s’appellent pas Paul et Pierre Durand mais Boris et Dimitri Pizarnik.
L’un est alcoolique, mais on ne le voit jamais boire, ni en état d’ébriété. Ropert procède ainsi par de multiples et légers décalages, de subtiles ellipses, des espaces laissés au mystère, des pointillés. Rien n’est jamais appuyé (influence de l’école Diagonale, souvenirs du cinéma tout en secrets de Jean‑Claude Biette ?).
Par exemple, quand les frères finissent par découvrir qu’ils sont rivaux en amour, la plupart des cinéastes les montreraient se disputant violemment. Rien de tel ici : le conflit se traite dans le calme, la dignité, comme pondéré par les liens fraternels. Du sentiment, oui, mais pas de pornographie sentimentale. De la cruauté parfois, jamais de cynisme, ni de perversité.
Ropert tire profit également du quartier Tolbiac où coexistent tours modernes et immeubles haussmanniens, ses esplanades vides, sa communauté chinoise omniprésente, son “exotisme”. La maman dont les frères tombent amoureux, c’est Louise Bourgoin, très émouvante, qui trouve là son meilleur rôle. Quand elle va travailler dans un bar de nuit au son de chansons mélancoliques, c’est tout un imaginaire de vieux mélo hollywoodien qui affleure, avec des images de Sternberg en filigrane.
Dans une époque propice à l’accélération, au tintamarre et à la surenchère spectaculaire, le style patient, murmuré, ténu d’Axelle Ropert pourrait en dérouter certains. Pour notre part, nous avons été envoûtés par ce film gracieux, qui avance à pas feutrés mais sûrs.
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