En 1999, Tim Burton revenait sur la genèse de « Sleepy Hollow », l’occasion d’évoquer son amour de jeunesse pour les monster movies et les contes de fées, son goût pour le mystère et l’inexplicable. Article extrait du hors série des Inrocks consacré à Tim Burton, en kiosque dès aujourd’hui et dans notre boutique.
Le film comme un tableau
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Nos influences visuelles n’étaient pas tellement picturales. Encore que… En ce qui concerne la palette de couleurs, l’atmosphère, nous avons regardé, en amont du tournage, quelques tableaux du XIXe siècle sur la vallée de l’Hudson. Mais plutôt que de peinture, nous avons surtout discuté avec le chef-opérateur de vieux films d’horreur mexicains ! Certes, nous avons peaufiné l’aspect plastique, mais sans trop regarder de vieux tableaux ou de vieux films, parce que nous ne voulions surtout pas copier. La qualité picturale du film vient avant tout de la qualité de notre équipe de décorateurs. Ce que j’aimais dans ces superbes films d’horreur d’antan, c’est leur texture, leur matière visuelle – ce à quoi nous aspirions. Nous avons aussi soigné l’aspect de la forêt en donnant du mouvement aux branches d’arbres : cette forêt n’est pas un simple amas d’arbres, elle a une forme, elle est habitée. Sleepy Hollow est plus gore que mes autres films, c’est son côté Hammer. Pour moi, le sang des films gore évoque de la peinture rouge plutôt que du sang. Alors on y a été carrément, on s’est bien aspergés de peinture rouge, dans le film et sur le tournage !
Un film de nuit
Ma fascination pour les ambiances nocturnes est peut-être une réaction à mon enfance en Californie, à cet environnement très blanc : des gens blancs, des murs blancs, des lumières blanches, des sourires aux dents blanches et souvent faux, etc. Et puis la nuit injecte du mystère aux films.
La magie du cinéma aujourd’hui
Mon problème par rapport aux cinéastes d’antan, c’est que le public contemporain est beaucoup moins innocent qu’à l’époque, il est plus blasé. Je me souviens de ma première vision de Jason et les Argonautes : j’étais stupéfait. Aujourd’hui, avant même qu’un film sorte, le public en connaît déjà tout par les médias. Il n’y a plus de surprise totale dans la salle de cinéma, ce temps-là est passé. C’est dommage parce que cette surinformation tue le désir et la magie du cinéma. Quand je travaillais sur Batman, j’ai beaucoup souffert de ça : je bossais comme un fou et, pendant ce temps, le film était complètement pris dans une surenchère médiatique. Moi, quand une hype devient trop forte, je n’ai plus aucune envie de voir le film en question. En même temps, je ne sais pas quoi faire contre tout ce système.
Vive le monde moderne ?
Je ne suis pas toujours heureux de certaines tournures du monde actuel. L’informatique, avec ses possibilités infinies, en devient presque inquiétant. Avec les ordinateurs, on peut raconter une histoire selon toutes les variantes ou combinatoires possibles, puisque tout peut être modifié à la seconde : moi, ça me fait flipper. Ce qui est intéressant et stimulant dans le cinéma, ce sont justement ses limites. Tout le travail et le plaisir du cinéaste est de jouer avec ces limites, comme quand nous avons bossé dur pour construire le décor de Sleepy Hollow afin de faire évoluer les acteurs au milieu de ce décor et non pas devant un écran bleu. Ça me fait penser à cette version longue de Rencontres du troisième type où il y a des scènes à l’intérieur de la soucoupe volante. Mais pourquoi avoir fait ça, bon sang ?! C’était bien plus fascinant et mystérieux quand on restait à l’extérieur de la soucoupe. A quoi ça rime d’ajouter quelques effets numériques à Star Wars ? Les films doivent être vus de la façon dont ils ont été faits à l’origine, on ne devrait pas changer ça.
Le succès et Hollywood
Je ne suis pas obsédé par le succès de mes films, mais j’y pense quand même un peu parce que le studio investit certaines sommes d’argent. On se sent porteur d’une certaine responsabilité vis-à-vis d’eux, on a envie de leur faire récupérer leur mise. De ce point de vue, un succès conditionne aussi vos futurs projets. Mon rapport au succès ne va pas plus loin que ça. Prenez Ed Wood, c’est un film que je chéris et il n’a pas très bien marché. Ed Wood a reçu les meilleures critiques possibles et il n’a rien fait commercialement. Succès commercial ou pas, je reçois suffisamment de feedback positif sur mes films pour être à peu près satisfait et ne pas déprimer quand le box-office est mauvais. Evidemment, quand on se lance dans la réalisation d’un film, on a envie de toucher le plus de gens possible, c’est humain. Et quand on obtient un gros succès, c’est sûr que ça aide, je ne prétends pas le contraire.
Je me souviens de ce que me disait Nicholson après Batman : “Avec un tel succès, maintenant tu peux te permettre trois bides” – si au moins c’était vrai ! On n’a quasiment plus le droit à l’erreur, on vit d’un film à l’autre. C’est à la fois triste et absurde. Si on nous autorisait une marge d’erreur plus grande, on oserait plus de choses et les films seraient bien plus intéressants ou novateurs. Si on regarde l’histoire du cinéma, de nombreux films considérés aujourd’hui comme classiques n’ont pas bien marché au moment de leur première sortie. Van Gogh n’a jamais vendu une toile de son vivant et, aujourd’hui, ses tableaux se vendent 40 millions de dollars ! Ce divorce entre succès et valeur artistique est l’un des aspects les moins sympathiques de la nature humaine.
Ma liberté de cinéaste
Je suis très chanceux. Je suis dans une niche étrange, à la fois dans le système hollywoodien dominant mais sans en épouser toutes les valeurs. Et comme j’ai toujours travaillé dans ce système, je ne sais pas m’y prendre autrement – je n’ai jamais fait de film indépendant au sens pur du terme. Mais je me demande si l’activité de cinéaste peut être indépendante. Peindre est une activité indépendante ; faire un film est une activité collective, qui demande beaucoup de collaborateurs, de moyens financiers : l’indépendance totale y est impossible. Je pense souvent à faire des films avec des budgets moins importants. Moins un film coûte cher, plus l’auteur est à l’aise, parce que plus les sommes sont importantes, plus la pression est forte. Croyez-moi, je désire les budgets les plus petits possibles. J’ai essayé avec Edward aux mains d’argent, mais ça s’est avéré impossible, les studios ne voulaient pas ! A cause de Batman, les responsables étaient convaincus que tout ce que je faisais devait coûter beaucoup d’argent ! C’est dingue, je ne peux pas faire de film à petit budget parce que mes anciens succès me pénalisent. Il faut que je trouve le moyen de me sortir de cette spirale.
Recueilli par Serge Kaganski
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Article extrait du hors série des Inrocks consacré à Tim Burton, en kiosque dès aujourd’hui et dans notre boutique. La masterclass du cinéaste à la Cinémathèque est visible à cette adresse.
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