En 1999, Tim Burton revenait sur la genèse de « Sleepy Hollow », l’occasion d’évoquer son amour de jeunesse pour les monster movies et les contes de fées, son goût pour le mystère et l’inexplicable. Article extrait du hors série des Inrocks consacré à Tim Burton, en kiosque dès aujourd’hui et dans notre boutique.
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Une légende américaine
J’adore les contes de fées, les vieilles légendes populaires, et la plupart des pays possèdent un riche patrimoine en ce domaine. En Amérique, en revanche, nous sommes plutôt pauvres. Sleepy Hollow est l’une de nos rares légendes, elle fait partie de la conscience américaine. C’est aussi un des premiers contes d’horreur américains. Disney en avait fait un dessin animé – je me rappelle l’avoir vu gamin. Cette image d’un cavalier sans tête, ça marque l’inconscient, en tout cas le mien. De plus, j’adore le nord de l’Etat de New York : une région vraiment hantée, au bon sens du terme, avec beaucoup de spiritualité, une atmosphère épaisse, prenante.
Un film de genre
Après les résultats décevants de Mars Attacks!, je ne me suis pas dit qu’il fallait revenir sur mon habituel terrain gothique. Je n’ai jamais été capable de prédire le succès ou l’insuccès de mes films. Sleepy Hollow, c’était pour moi l’occasion de faire un de ces monster movies à l’ancienne que j’aime tant. Un projet purement formel, stylistique… Certes, j’ai déjà travaillé ce genre d’imagerie sur des films précédents, mais là, c’était la première fois que je pouvais faire un pur film de genre. Pour cette raison, j’ai vraiment ressenti Sleepy Hollow comme un travail neuf, différent.
Un film d’époque, en costumes
J’ai fait quelques recherches sur la vie de l’époque, mais pas tant que ça. Je ne désirais pas faire un film historique, avec tous les détails rigoureusement exacts. Mon influence principale, c’était les films d’horreur de la Hammer : ces films étaient des fictions, des rêveries. On a fait des recherches juste pour retrouver une vibration, une atmosphère. De toute façon, des recherches historiques trop poussées n’auraient eu aucun sens pour Sleepy Hollow : ce n’est pas un film réaliste.
La normalité
Je ne sais pas si je ferai un jour un film sur des gens normaux. Mon problème, c’est que ma perception de la réalité est décalée de la norme. Ce que les gens trouvent “normal” est souvent selon moi totalement “anormal”. Quand j’ai vu L’invasion vient de Mars (de Tobe Hooper – ndlr), j’ai trouvé ce film très réaliste, concret dans sa façon de captiver l’esprit de l’enfant que j’étais. C’est un film fantastique, surréel, et pourtant, de mon point de vue, c’est un film très réel. Ce que j’aime dans le genre fantastique, comme dans les contes de fées et les légendes populaires, c’est que quand ça vous touche profondément, ça devient plus réel que n’importe quelle réalité.
Johnny Depp
C’est le troisième film que nous faisons avec Johnny et, à chaque fois, il réussit un truc spécifique, différent. Ça permet une grande liberté créative, pour lui comme pour moi. J’aime les acteurs qui savent se transformer, qui peuvent incarner des personnages complètement différents : c’est beaucoup plus excitant, stimulant. C’est là toute l’essence du cinéma : on crée un monde à partir de rien du tout. Tout cela est du vent, du rêve, du pur fantasme, de l’imaginaire. Travailler dans ces univers imaginaires avec quelqu’un comme Johnny, qui se réinvente constamment, ça rend les choses plus libres, plus amusantes. Et puis nous commençons à bien nous connaître. Ça rend les choses plus faciles et, en même temps, il me surprend toujours. Bien connaître un partenaire peut avoir des effets négatifs de l’ordre de la routine. Or, ce n’est pas du tout le cas avec Johnny. Entre nous, il n’y a pas besoin de longs discours : je peux lui parler de Peter Cushing ou de Vincent Price et il pige au quart de tour, sans que je lui explique. En outre, Johnny n’a pas cette vanité courante des acteurs célèbres, cette crainte de paraître moche, de révéler son mauvais profil ou d’être filmé sous une mauvaise lumière. Ça rend notre travail plus libre, on sait qu’on peut tout essayer.
Rationalisme et magie
Je crois complètement à l’invisible, à l’existence de phénomènes que l’oeil humain ne peut pas percevoir. Mais ce n’est pas une croyance littérale, au premier degré, du genre “je crois aux fantômes”. Disons que j’ai vu dans ma vie des choses que je suis incapable d’expliquer rationnellement, mais le terme “fantôme” est un peu trop facile et simpliste. Il suffit d’observer la nature, toute cette vie bruissante autour de nous : comment ne pas imaginer qu’il existe un tas de phénomènes invisibles à nos yeux, ou inexplicables ? Evidemment, je ne crois pas aux histoires de cavalier sans tête – dans le film, je serais plutôt Ichabod (Johnny Depp). Ce personnage est très humain, il prétend savoir de quoi il parle alors que ce n’est pas du tout le cas… C’est pourquoi je crois qu’il faut être ouvert dans la vie : tout est possible. Il ne faut pas être absolument sûr de soi, parce que, en s’enfermant dans ses certitudes, on se ferme aux possibilités du monde. J’essaie de rester ouvert, autant que possible. Le film est ouvert, entre rationalisme et surnaturel. Les choses ne sont pas toujours exactement conformes à leur apparence : c’est là une thématique qui m’a toujours intéressé et qui traverse tous mes films.
La religion
Je dirais que je suis une personne spirituelle, je crois en quelque chose au-dessus de nous, mais je n’en ai aucune représentation concrète. J’ai certainement une croyance, mais je ne suis affilié à aucune religion organisée. Petit, j’étais terrifié par la religion, la façon dont on nous racontait tout ça ressemblait à un film d’horreur ! “Buvez le sang de J.-C.” Waow ! Mais en un sens, les religions, les contes et légendes étaient les toutes premières fictions. La Bible peut être considérée comme l’un des premiers romans populaires. Je suis toujours interloqué par la façon qu’ont les gens de prendre la Bible ou la religion au premier degré. La Bible, c’est tellement abstrait, fictif, comme un conte de fées.
Esthétique et influences
Je peux citer des noms comme Mario Bava, Terence Fisher, la Hammer, l’école Corman, James Whale… Chez Whale, j’ai toujours aimé le mélange d’humour, d’horreur et de commentaire social. Evidemment, j’ai toujours à l’esprit les films de Roger Corman avec Vincent Price, leur force poétique… Les monster movies ont toujours été mon genre favori, celui qui a creusé la marque la plus profonde en moi : je pourrais citer une liste infinie de films ou de réalisateurs dans ce genre. Ces films ne me faisaient pas peur, et je ne considère pas Sleepy Hollow comme un film d’épouvante. Pour moi, la vie était bien plus terrifiante que ces films ! L’Exorciste m’a fichu la trouille… Mais les films de monstres fonctionnaient autrement, plutôt sur la poésie que sur la peur. J’ai traité Sleepy Hollow comme un film de monstres : il n’est pas censé effrayer les spectateurs.
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