Tideland de Terry Gilliam
Comme la plupart des films de Terry Gilliam, cinéaste qui n’est jamais descendu du train de l’acide, Tideland est un délire de baba des années 70.
C’est d’ailleurs l’histoire d’un ex-baba des années 70, incarné par Jeff Bridges, en postface déglinguée de The Big Lebowski, qui débarque dans une cambrousse désertique où va se dérouler cette histoire délirante. Une sorte de transposition déchiquetée des Moissons du ciel de Malick, un Alice au pays des merveilles version gothique. Narrant les divagations et les jeux à travers la campagne de Jeliza-Rose, la fille du baba en question parti pour le nirvana des shootés, ce film a une agaçante et entêtante mièvrerie de vieux bonbon sucé. Convoquant à la fois des visions surréelles à tire-larigot (intérieur d’un terrier imaginaire, submersible de pacotille, séquence sous-marine) et des personnages tous aussi outrés et surdéguisés les uns que les autres, Tideland fait montre d’une liberté créative absolue. Hormis la nécessité d’avoir une star Ð Jeff Bridges, qui n’est plus vraiment au firmament Ð, on sent que Gilliam a eu les coudées franches, qu’il s’est fait plaisir comme au bon vieux temps des Monty Python, en mettant en scène sans retenue ce qui lui passait par la tête.
Comme dit (dans le dossier de presse) Christine Hart, la chef maquilleuse du film : « N’avoir aucun grand studio d’impliqué dans ce projet a été une expérience très libératrice. » Et cela se sent à chaque instant. On imagine mal dans un film classique les séquences récurrentes où des têtes de poupées Barbie, confidentes de Jeliza-Rose, se mettent à avoir une véritable vie. C’est à la fois trop cheap et trop barré. Il y a une pureté et une rudesse élémentaires dans Tideland, une filiation avec tous les récits grinçants sur l’Amérique profonde, de Faulkner à Flannery O’Connor. L’antithèse, donc, du récent Frères Grimm du cinéaste, où le corset de la commande freinait son imaginaire.
Sans rien bouleverser, ce film remet simplement Gilliam à sa place de premier cinéaste baroque américain, éclipsant un Tim Burton qui, hormis l’exception (surprenante) de Big Fish, est devenu une sorte d’académicien de son propre style, où le design prime sur l’invention. On pourrait accumuler les références et les comparaisons, de Dodes’ Kaden de Kurosawa à Jeux interdits de René Clément, mais seul Gilliam est doté de cet imaginaire à tiroirs, allié à une forme de crudité obscène, entre morbidité et enfantillage baveux. V. O.
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TIDELAND de Terry Gilliam, avec Jodelle Ferland, Janet McTeer, Brendan Fletcher (G.-B./Can., 1 h 57, 2005)
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