C’est le mois d’août, et c’est bien connu, il n’y a rien en salles — du moins pas sur votre lieu de vacances, loin de tout sauf, espérons-le, d’une connexion Internet. Pas d’inquiétude, nous pensons à vous et vous recommandons, chaque vendredi, les meilleurs films documentaires disponibles (légalement ou à peu près) sur Internet. Première escale : la Nouvelle-Zélande, Los Angeles, et ses compétitions de chatouille…
Il y a pile un an, Carole Boinet nous faisait découvrir dans le numéro spécial sexe le monde merveilleux de la knismolagnie, soit le fait d’être sexuellement excité par les chatouilles. Aussi, lorsque quelques mois plus tard, un ami nous proposa de visionner un documentaire intitulé Tickled (« chatouillé » en anglais), sur les compétitions de résistance à ladite technique, « mais beaucoup plus en réalité » (précisa-t-il), nous fîmes la moue, persuadé que nous n’apprendrions rien de plus sur le sujet. Erreur. Heureusement, l’ami en question sut se faire convaincant : « c’est le truc le plus dingue que tu verras cette année, mais je ne peux pas t’en dire plus. Il faut que tu le vois« .
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et en effet. Sitôt le visionnage terminé, nous n’avions qu’une envie : partager les sentiments d’exaltation et de peur, oui de peur, qui nous avaient traversés durant la projection, les passer à d’autres comme on se refile en virus, sans toutefois leur gâcher le plaisir de la découverte vierge. Comme The Jinx ou Looking for Sugarman, Tickled est un de ces docus à twist qui s’apprécient d’autant plus qu’on n’en sait pas trop, et il est délicat de donner envie de le voir sans les déflorer. Mais nous allons essayer.
David Farrier est un reporter télé néo-zélandais, spécialisé dans les sujets décalés, les expériences bizarres et les pratiques extrêmes. Aussi, le jour où il tomba sur une page Facebook tenue par une boite de production américaine, Jane O’Brien Media, passant des annonces pour recruter des jeunes hommes acceptant de se faire chatouiller aussi longtemps que possible, en échange d’un voyage tout frais payé à Los Angeles et d’une petite somme d’argent, il flaira le bon coup. En journaliste consciencieux, il écrivit donc au community manager pour se renseigner sur les possibilités d’un reportage. Rien de plus.
Un « sport » réservé aux hétéros
Et la réponse, quelques jours plus tard, fut aussi cinglante que surprenante : en substance, Jane O’Brien lui expliquait vertement qu’il était hors de question de laisser venir un journaliste gay, leur « sport » étant exclusivement réservé aux hétéros. « Vraiment ? « , se demanda Farrier, repensant aux vidéos mises en avant sur la page, figurant de jeunes hommes en sous-vêtements, chatouillés par deux ou trois éphèbes en short et débardeur Adidas, parfois carrément assis sur leur victime… Cela ne pouvait être qu’une blague, une provocation. Alors il insista. Et reçut des insultes, de plus en plus agressives. Rapidement suivies de menaces de poursuites judiciaires.
Brûlé par la curiosité, bravant l’interdit, il décida alors de se rendre sur place, à Los Angeles, avec un camarade doué en informatique (détail qui aura son importance), voir de ses yeux ce qu’il en était. Et comme on peut s’en douter, ils découvrirent un monde insoupçonné, justifiant un documentaire d’1h30, dévoilé à Sundance en janvier 2016, puis diffusé sur HBO, et aujourd’hui disponible sur Netflix en France. De ce monde, mieux vaut ne pas trop parler, si ce n’est pour dire qu’on y croise une bonne dose de naïveté, beaucoup de malhonnêteté voire de cruauté, pas mal d’incrédulité face aux bas-fonds de l’Internet qui y sont exposés, et surtout, surtout, un personnage fascinant, balzacien, quelque part entre le père Goriot, Vautrin et Ferragus, aussi parano et vicieux que finalement touchant : David D’Amato.
Un harcèlement sans fin
Et c’est grâce à lui que le documentaire, de sympathique curiosité, passe au statut de mythe en construction. En construction, car depuis la diffusion du documentaire, D’Amato n’a cessé de harceler les deux réalisateurs, se pointant même à la première à Los Angeles, en juin 2016, accompagné de sbires, pour y contester pied à pied, lors d’un questions-réponses d’anthologie (visible ci-dessous), les assertions de Farrier et Reeve qui n’en revenaient pas.
Les deux compères ont d’ailleurs réalisé une coda, un court-métrage intitulé Tickled Kingpin (hélas introuvable pour l’instant), pour raconter leurs mésaventures depuis un an. Mais ce n’est pas fini : apprenant en mars 2017 la mort de D’Amato (réelle ou simulée ?), mais constatant que les procédures judiciaires demeuraient, les reporters restent prisonniers de leur sujet (comme ils s’en expliquent dans cette tribune, à ne lire qu’une fois le documentaire visionné bien sûr : ), ce petit sujet qui leur semblait anodin et si rigolo…
« Quand on a découvert tout ce truc, concluent les deux auteurs, on se disait en rigolant qu’on avait mis le pied dans un trou de vers plein de guilis. Ce qui nous avait échappé, c’est que les trous de vers ne sont pas forcément petits. En réalité, ils peuvent s’étendre sur des milliards d’années lumière »…
(Merci à Frédéric Da, l’ami en question)
Vous pouvez également découvrir « The Tickle King », la suite de « Tickled’, ci-dessous :
{"type":"Banniere-Basse"}