“The White Lotus” et “Sans filtre” abordent les mêmes thématiques (l’égocentrisme des personnes riches, les rapports de domination), pourtant ces deux œuvres sont radicalement différentes. Et pas uniquement par leur format.
Il faut d’abord opérer un petit deuil en découvrant la seconde saison de The White Lotus : celui de tous les personnages de la merveilleuse première saison de la série de Mike White. On retrouve Jennifer Coolidge, capiteuse blonde proche d’une Anita Ekberg sexagénaire dans son rôle savoureux de milliardaire infantile et égocentrée, mais il nous faut renoncer à tous nos personnages préférés : Murray Bartlett en gérant dissolu, Connie Britton en cadre sup workaholic, Sydney Sweeney en ado bourge hyper woke…
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On reconnaît tout dans la saison 2 – le suspense portant sur l’identité d’une ou plusieurs victimes d’un meurtre, la construction en flash-back, la satire sociale enchâssant les vies des usager·ères des palaces et de celles et ceux qui les servent… Sauf l’essentiel : les personnages, ces ami·es imaginaires que Mike Whitenous avait donné·e.
Passé le désagrément de cette table rase, il faut bien dire que peu à peu le charme se recompose et qu’on s’éprend doucement de ce nouveau panel de riches et de moins riches, de maîtres et de valets, d’Américain·es en vacances et de Sicilien·nes au travail. Et on mesure que c’est finalement moins les personnages eux-mêmes qui nous avaient attachés à la saison 1 qu’une certaine qualité de regard porté sur eux, un vrai talent de la nuance psychologique, une fine diplomatie dans l’art de ménager la moquerie et l’empathie, la critique sociale de chacun et l’identification à tous.
Des thématiques proches
À vrai dire, c’est surtout une raison extérieure à la série de Mike White qui nous fait l’aimer inconditionnellement : la confrontation avec un film qui dans son principe à tout à voir avec The White Lotus, mais en est in fine l’absolu opposé, Sans filtre de Ruben Östlund. On retrouve dans la Palme d’or 2022 beaucoup des composantes de la série : l’isolement de personnages fortunés et puissants dans une situation de villégiature, la description satirique de leur égocentrisme autoritaire comme de leur culpabilité hypocrite, la violence de classe tapie sous la servilité marchande, toutes les lignes de force qui traversent le champ contemporain (problématiques de genre, discriminations sexistes, racisées…) condensées dans un creuset en ébullition…
Mais avec une visée similaire, les deux œuvres optent pour des moyens contraires. La série de Mike White sait être fine plutôt que caricaturale, corrosive plutôt que nihiliste, élégante plutôt que grossière. Et surtout n’envisage pas le terrain de jeu de la fiction comme une partie de bowling où il s’agit de dégommer un par un des personnages considérés comme de simples quilles. Sous sa surface plaisamment sarcastique, The White Lotus est une série profondément humaniste. Elle est l’idéal remède à la misanthropie dérégulée et inflammatoire de Sans filtre. Car contrairement au film de Ruben Östlund, elle comporte un filtre. Et c’est un filtre d’amour.
Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 16 novembre
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