Le cinéaste iranien Ahmad Bahrami capte avec talent ce temps et cet espace du devenir-ruine, où le paysage tient le premier rôle.
Balayée par le vent du désert iranien, une usine de briques vit ses derniers instants d’activité. En déficit de rentabilité, ses fourneaux s’arrêtent un à un, sous l’œil du contremaître Lotfollah. Né entre ces murs qui permettent d’en fabriquer d’autres, il est en même temps l’oiseau qu’on chasse de son nid et le corbeau de mauvais augure, qui doit annoncer aux ouvrier·ères – dont Sarvar, pour qui il éprouve une passion jamais déclarée – qu’ils et elles doivent quitter les lieux. Récompensé à la Mostra en 2020, The Wasteland forme avec The Wastetown, sorti le 2 août dernier, un diptyque (qui devrait devenir une trilogie prochainement) dans lequel le paysage tient le premier rôle.
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Qu’il filme une usine au bord de l’arrêt ou une casse automobile, Ahmad Bahrami semble fasciné par le déchet, vu non pas dans sa nature a priori inerte, mais comme un espace-temps à part entière, un état léthargique où corps, carcasses et murs s’acheminent aussi tranquillement que tragiquement vers la fin. Bien qu’encore habité et en activité, le lieu qu’il raconte semble déjà hanté par son devenir-ruine. Les personnages y errent comme des mort·es-vivant·es peinant à s’arracher à leur servitude ouvrière.
Une petite ritournelle à la fois déchirante, implacable et douce
The Wasteland raconte ce destin déchet avec un langage de cinéma certes légèrement cliché (noir et blanc charbonneux, format 4/3, lents travellings et plans-séquences taiseux à la Béla Tarr) mais ici en adéquation parfaite avec le climat hypnotique dans lequel nous plonge le film.
Le sortilège que jette The Wasteland tient dans cette aptitude à étirer la fin d’un monde, à en faire une petite ritournelle à la fois déchirante, implacable et douce. Il cristallise cet étrange sentiment d’un deuil par anticipation, né de la très contemporaine sensation d’habiter un espace condamné à disparaître.
The Wasteland d’Ahmad Bahrami, avec Ali Bagheri, Farrokh Nemati, Mahdie Nassaj (Ir., 2020, 1 h 42). En salle le 6 septembre.
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