La cavale de deux garçons. Un road movie taiseux assez intense, porté par le charismatique Alex Pettyfer.
Le souvenir d’une maison en flammes. Un adolescent et un jeune homme à peine plus âgé, en fuite. Une voiture et la route. Un motel et des diners. Une forêt et des champs. Bref, une poignée de motifs éternellement américains, c’est à peu près tout ce qu’il faut à la paire de cinéastes Lauren Wolkstein et Christopher Radcliff pour composer leur premier long métrage, adapté d’un court du même nom, sorti en 2011, et qui s’articulait autour d’une scène de motel reproduite ici presque à l’identique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Composer est le terme adéquat, tant The Strange Ones tient plus de la peinture (à la fois impressionniste et symboliste) que d’un art académique du scénario filmé. Road movie taiseux et mystérieux, qui n’évite pas tous les écueils de son genre, notamment dans son dernier acte, après que le pot aux roses a été révélé et que le scénario, jusqu’ici subtil, s’impose à nous par un effet de manche peu convaincant, le film de Wolkstein et Radcliff brille d’abord par sa mise en scène. Bonne idée par exemple d’aller puiser dans la grammaire du fait divers sordide, et ses zooms avant, très lents, pour signifier que le réel est plus complexe que son apparence.
Le réel, explique justement le jeune homme (Nick) à son protégé (Sam), n’est pas si différent du rêve, à condition de bien vouloir faire cohabiter les deux. Le film louvoie d’abord tant bien que mal sur cette piste lynchienne, mais il a la sage idée de ne finalement retenir du maître que le spectre de la violence sexuelle, en arrière-plan de la douce Amérique. Et plutôt qu’à son armada formelle bien trop souvent écrasante, il préfère s’adosser à une esthétique plus buissonnière, à la Malick, celui de Badlands et son couple asymétrique de fugitifs songeurs.
Il y a d’ailleurs quelque chose de Martin Sheen (c’est-à-dire de James Dean) chez l’excellent Alex Pettyfer, l’acteur qui joue ici Nick (et qu’avait révélé Steven Soderbergh dans Magic Mike). L’adolescent est quant à lui interprété par James Freedson-Jackson (aperçu dans le très bon Cop Car de Jon Watts en 2015), qui impressionne tout autant, notamment dans les scènes, les plus réussies, qui se déroulent dans une étrange communauté d’enfants-paysans, ni tout à fait réelles ni tout à fait rêvées.
C’est vraiment dans cet entre-deux que The Strange Ones est le plus troublant, lorsqu’il se tient en équilibre au bord du trou noir, cette grotte qu’on aperçoit et où sont jetés les plus noirs secrets, si noirs qu’ils ne peuvent être énoncés – seulement chuchotés.
The Strange Ones de Lauren Wolkstein et Christopher Radcliff (E.-U., 2018, 1 h 21)
{"type":"Banniere-Basse"}