Un documentaire intéressant sur Anna Wintour, modèle du Diable s’habille en Prada.
Anna Wintour est très, très méchante. C’était l’argument du livre puis du film Le diable s’habille en Prada, portrait au vitriol de la Cruella de la mode US, maltraitant ses pauvres assistantes sans défense. Ce n’est pas loin d’être le cas dans la réalité, sauf que la Wintour y maltraite absolument tout le monde. Pour The September Issue, remarquable travail documentaire, R. J. Cutler a pu tout filmer de l’élaboration du numéro de septembre du Vogue US, enjeu majeur dans le milieu de la mode car imposant les tendances de la saison et récoltant un maximum de pubs (taille du numéro : l’annuaire de l’Australie). La froideur radicale de celle qui a eu le talent de se créer un look-signature warholien avec seulement deux petits trucs banals – lunettesde soleil et coupe au carré – se tempère pourtant d’une sensibilité qui perce au gré des interviews en insert, filmés chez elle. On découvre non seulement qu’elle sait sourire mais que sa fille méprise ce qu’elle fait, trop “frivole”, tout comme sa famille, tous de grands journalistes politiques anglais. Comme quoi, on est toujours la Cosette de quelqu’un, et le film joue sur le choc de ces paradoxes. On voit donc comment Cosette Wintour, dénigrée dans sa famille, règne pourtant d’un pouvoir si absolu qu’il l’isole : les dirigeants de grands magasins passent commande de vêtements en fonction de ses choix ; les créateurs lui montrent leurs collections en privé (séances de torture et d’humiliations assurées pour ces grands que sont Stefano Pilati et Jean Paul Gaultier)… Mais le climax dramaturgique du film réside dans sa relation avec Grace Coddington, la rédactrice de mode la plus poétique, entrée au Vogue US en même temps qu’elle, en 1988 : la seule à lui tenir tête, à l’envoyer balader, à remonter le moral des troupes découragées. Au final, le documentaire devient le roman passionnant de ces deux monstres sacrés qui s’affrontent, car s’affrontent à travers elles deux visions différentes de la mode : celle colorée, positive, commerciale de Wintour contre celle romanesque, artistique et bizarre de Coddington. Bref, la rituelle lutte entre le mal et le bien, qui assure bien des succès au cinéma. Un seul regret : où sont les journalistes, reporters, bref, ceux qui écrivent ? Chez eux, probablement.
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