La crise identitaire de jeunes cow-boys filmée par une réalisatrice chinoise installée aux Etats-Unis : une déconstruction poignante du mythe de l’Ouest.
Un cow-boy et son cheval, la plaine à perte de vue, rien n’a changé. On est dans le Dakota du Sud et, par ici, on ne s’est pas trop remis de l’époque du grand Far West. Le sport local est le rodéo. Dès l’adolescence, des garçons enfourchent des montures folles, étalons ou taureaux, sur le dos desquelles il faut tenir un temps record – quelques secondes – avant de s’aplatir sur la terre battue. Certains deviennent des héros. D’autres finissent dans un fauteuil roulant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Chloé Zhao s’est passionnée pour cette communauté bâtie autour d’une passion, elle l’a observée de longs mois avant de composer une fiction centrée sur Brady (interprété par Brady Jandreau, acteur né), une jeune star du rodéo victime d’une blessure à la tête. The Rider est articulé autour de sa guérison qui rime avec sa descente aux enfers : s’il veut vivre, Brady doit renoncer à sa passion. Mais qu’est-ce qu’un cow-boy sans cheval ? Un homme sans divertissement – au sens le plus philosophique du terme ?
The Rider accorde cette fable contemplative avec un film social. Habitants d’une réserve d’Indiens (comme dans le premier long métrage de l’auteure en 2015, Les chansons que mes frères m’ont apprises), Brady et sa famille sont des laissés-pour-compte. Orphelin de mère, le garçon survit avec son père et une sœur atteinte du syndrome d’Asperger. Sans trop creuser ces aspects, la réalisatrice filme le drame comme une norme, un état de fait. Les cow-boys ne pleurent pas. La douleur est intériorisée, jusqu’à un certain point.
La force de ce film primé à Deauville consiste à détruire les dernières fondations du mythe de l’Ouest. Si le western a rendu l’âme dès les années 1970, Zhao renverse l’épopée en une fresque d’éclopés, poignante et existentielle. Et ce n’est pas un hasard si The Rider, à rebours de son titre, ne délivre pas même une scène de galop (à part une image de rêve finale), grande frustration pour nous spectateurs : les cavales héroïques ne sont plus que de vieux exploits que Brady et ses copains se passent en boucle sur internet.
Ce sont des écorchés vifs, dont la réalisatrice traque les blessures tout en enveloppant ses personnages d’une aura de mystère. Leur combativité et leur dignité rappellent celles de certains héros fordiens, même si dans ce coin pauvre et déserté d’Amérique, on est loin des chevauchées fantastiques de la Monument Valley.
The Rider de Chloé Zhao, avec Brady Jandreau (E.-U., 2018, 1 h 45)
{"type":"Banniere-Basse"}