Tourné en 1970, inachevé, et monté quarante ans après sa mort par le monteur de Kathryn Bigelow, une étrangeté signée Welles, dont l’inachèvement est le motif ultime. A voir sur Netflix.
L’idée de The Other Side of the Wind naît dans les années 1960 : Jake Hannaford (joué par l’ours blanc à la voix caverneuse John Huston) est un réalisateur sur le déclin qui revient aux Etats-Unis après des années d’exil. Le récit se déroule lors de son 70e anniversaire qui réunit tout le gratin d’Hollywood : acteurs, cinéastes, critiques, journalistes.
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Au casting, on croise Peter Bogdanovich, l’historien du cinéma Joseph McBride, Susan Strasberg, Oja Kodar, Claude Chabrol ou encore le cinéaste Paul Mazursky. Le film se déroule comme un long flash-back qui revient sur les dernières heures de Hannaford avant sa mort, dont on ne sait si elle est volontaire ou accidentelle. Hannaford, c’est Welles lui-même qui revient aux Etats-Unis après un long exil européen.
La vision d’un cinéaste qui doit affronter le réel
Welles passe des années à monter le film et à chercher des financements mais personne à Hollywood n’est intéressé. Il meurt le 10 octobre 1985 avant d’avoir pu le terminer. Le plus remarquable dans The Other Side of the Wind, c’est qu’il traite précisément de l’inachèvement, de la difficulté de faire un film et de le faire voir, de la vision d’un cinéaste qui doit affronter le réel, cette matière extra-cinématographique.
Lors de son 70 e anniversaire, Hannaford diffuse à ses invités son dernier film, inachevé à cause de l’acteur principal qui a quitté le plateau. On pense à un pastiche de films des années 1960 vaguement inspiré par Zabriskie Point d’Antonioni. On y voit pourtant les scènes les plus belles de The Other Side of the Wind, sortes de petits clips abstraits et kaléidoscopiques.
Ce film-là, Adam et Eve version psychédélique, est enserré dans un autre, celui de la cérémonie d’anniversaire où se croise tout le gratin hollywoodien qui bavarde et cancane cyniquement tandis que la projection ne cesse de s’interrompre pour des raisons techniques. Welles filme cette grande parade mondaine d’une manière quasi documentaire, comme si le cinéaste avait digéré et mêlé les foules festives et confuses de Fellini avec les merveilleuses trivialités du cinéma d’Andy Warhol.
Ce qui étonne le plus, c’est de voir un cinéaste comme Welles faire autant de concessions à l’esprit du temps et aux modes de l’époque. The Other Side of the Wind n’est en cela pas du tout le chef-d’œuvre maudit que l’on attendait, mais plutôt un objet hybride, monstrueux, déliquescent.
Le dernier plan du film a valeur de symbole : l’écran de cinéma d’un drive-in qui s’éteint, capitule. Et ce n’est pas parce qu’il est enfin visible que l’ultime film de Welles est terminé : l’essence même du propos de The Other Side of the Wind est l’inachèvement, le cinéma devenu lambeaux.
The Other Side of the Wind d’Orson Welles avec John Huston, Oja Kodar, Peter Bogdanovich (E.-U., Fr., Ira., 2018, 2 h 02). Déjà en ligne
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